[JEAN JACQUES ROUSSEAU]

CLAUDE-NICHOLAS LE CAT

RÉFUTATION DU DISCOURS
QUI REMPORTE LE PRIX A l’ACADÉMIE de DIJON en 1750,
PAR UN ACADÉMICIEN de DIJON
QUI LUI REFUSE SON SUFFRAGE.

[1751 = Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. XIII, pp. 71-152.]

[71]

RÉFUTATION
Du Discours
qui a remporté
le Prix
à l’Académie
de Dijon en 1750,

par un Académicien de Dijon qui lui refusé son suffrage.*

[*Cette réfutation parut imprimée en 1751 en un volume in-8?. de 132 pages en deux colonnes, dont l’une contenoit le Discours de Rousseau, & l’autre la Réfutation: M. Rousseau y répondit par une lettre qui se trouvé à la page 153 du second volume des Mélanges [V. LETTRE DE JEAN-JAQUES ROUSSEAU, Sur une nouvelle Réfutation de son Discours, par un Académicien de Dijon.]: cet Académicien de Dijon supposé se trouva être M. Le Cat, Secrétaire perpétuel de l’Académie de Rouen, & c’est ce qui occasionna le désaveu de l’Académie de Dijon, que l’on trouvera ci-après: cette Réfutation non plus que les deux Pieces suivantes n’ont été insérées dans aucun Recueil des Ecrits de M. Rousseau mais elles nous ont paru si essentielles pour l’éclaircissement de cette fameuse dispute que nous avons jugé convenable de la joindre à toutes les autres pieces qui parurent sur cette matiere.]

PREFACE

DE L’ÉDITEUR DU DISCOURS,
AVEC LES REMARQUES CRITIQUES

La Littérature a ses cometes comme le Ciel. Le Discours du Citoyen de Geneve doit être mis au rang de ces phénomenes singuliers, & même sinistres pour les Observateurs crédules. J’ai lu, comme tout le monde, [72] ce célebre Ouvrage. Comme tout le monde; j’ai été charme du style & de l’éloquence de l’Auteur; mais j’ai cru trouver dans cette Piece plus d’art que de naturel, plus de vraisemblance que de réalité, plus d’agrément que de solidité; en un mot, j’ai soupçonné que ce Discours étoit lui-même une preuve qu’on peut abuser des talens, & qu’on peut faire dégénérer l’art de développer la vérité, & de la rendre aimable, en celui de séduire & de faire passer pour vraies les propositions des plus paradoxes & même les plus fausses.

Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux,

Qui par l’art embelli ne puisse plaire aux yeux.

Boil. Art Poet. Ch. 3.

Mais en même tems j’ai cru m’appercevoir que cet abus de l’art n’a pas tout le succès que lui promettent les apparences; l’erreur se découvre à l’esprit attentif, sous les sophismes par lesquels on s’efforce de la revêtir du masque de la vérité, comme les moeurs artificieuses se trahissent elles-mêmes dans la contenance & les discours des hypocrites qu’on soupçonne & qu’on étudie. Néanmoins la grande défiance que j’ai de mes propres lumieres, fit que la lecture de l’éloquent Discours me mit dans une sorte de perplexité: quel parti prendre, me suis-je dit? L’espérance de contribuer au bonheur [73] général de la Société, comme au mien propre, d’être plus utile & plus agréable aux autres & à moi-même; d’être enfin meilleur que la nature seule ne m’avoit formé, est le motif qui m’a soutenu jusqu’ici dans l’étude des Sciences & des Arts; un projet si louable m’auroit-il fait illusion? Avec le dessein de chercher le mieux être, aurois-je pris exactement le chemin opposé? Tant de travaux ne me conduiroient-ils qu’à dégrader les talens & les inclinations que la simple nature m’avoit donnés. Si cela est, j’apprends tous les jours, & je travaille par-là tous les jours à me rendre pire que je n’étois. Si cela est, je me propose de donner de l’éducation à mes enfans, & par-là je trame une conspiration contre la Société, contre la Patrie, en formant un projet qui tend à lai corruption de ses sujets. Grand Dieu! qu’ai-je fait, & dans quel abyme allois je précipiter les miens? Malheur à ceux qui ont brisé la porte des Sciences! Allons, brûlons les Livres, oublions jusqu’à l’art de lire, gardons-nous de l’apprendre aux autres.

Ce nouveau dessein mérite quelques réflexions; il a tout l’air d’une extravagance. Quoi! de propos délibéré, nous nous replongerions dans les ténebres& la barbarie? Cette action seule seroit, ce me semble, le chef-d’oeuvre de l’aveuglement, & de la barbarie même.....

Barbarus hic ego sum

[74] Mais l’Auteur couronné par la respectable le Académie M. Dijon, m’assure que cette barbarie n’est qu’apparente, que je ne la crois telle, que parce que je n’entends pas la question.....

quia non intelligor illis.

J’avoue que j’avois déjà été fort surpris que ce Corps célebre eût proposé cette question; car toute question proposée est censée problématique; mais l’hommage rendu aujourd’hui au Discours par la même Société, met le comble a mon étonnement, & m’en impose; à peine osai je examiner. Il est un moyen d’éclaircir mes doutes, plus décent, plus sur, plus conforme a la juste défiance que j’ai de mes lumieres. J’ai l’honneur d’être lié d’amitié avec l’un des membres du savant Aréopage de Dijon, avec l’un des Juges qui a dû concourir au triomphe de l’Orateur Genevois. Consultons-le. Il est homme à ne rien faire à la légere; il nous sera part des raisons qui ont emporté son suffrage, & elles décideront sans doute le mien. J’ai suivi ce projet, & j’ai reçu de non illustre Correspondant la Lettre suivante.

«Oui, Monsieur, j’ai été l’un des Juges du Discours qui a remporté le Prix en 1750; mais non pas un de ceux qui lui ont donne son suffrage. Loin d’avoir pris ce dernier parti, j’ai été le zélé défenseur de l’opinion contraire, parce due je pense que celle-ci a la vérité [75] de ton côté, & que le vrai seul a droit de prétendre à nos Lauriers. J’ai même poussé le zélé jusqu’à apostiller le Discours par des notes critiques, dont la collection est plus considérable que le texte même; j’ai cru que l’honneur de la vérité, celui de toutes les Académies, & de la nôtre particuliérement, l’exigeoient de moi: ces mêmes motifs m’engagent à vous en envoyer la copie, & à vous permettre de les rendre publiques. Dans cette vue j’ai lu l’Edition que l’Auteur en a faite, & j’ai ajouté à mon Manuscrit quelques remarques nouvelles, auxquelles ses additions ont donne lieu.»

«Ne perdez point de vue, s’il vous plaît, Monsieur, que ce ne sont que des apostilles, des notes due je vous envoyé, & non un discours fleuri; que mon dessein n’a jamais été d’opposer éloquence à éloquence, paradoxe à paradoxe; j’aurois peut-être tenté le premier en vain, & le dernier n’auroit pas été de mon goût; j’exposé naturellement à mes Confreres ce que je pense d’une Piece, dont je suis examinateur, en opposant, selon mes foibles lumieres, le raisonnement juste aux figures oratoires, la vérité claire au paradoxe. J’applaudis avec le Public au génie & aux talens de notre Auteur; mais j’ose penser que sa Piece n’est qu’un élégant badinage, un jeu d’esprit, & que sa [76] these est fausse. Si je puis vous en convaincre, j’ai gagné ma cause. Je préférerai toujours l’art d’éclairer & d’instruire à celui d’amuser & de plaire, quand il ne me sera pas possible de les réunir. J’ai l’honneur d’être, &c.»

A Dijon, ce 15 Août 1751.

La générosité de M. * * *. combla, mes voeux; je m’applaudis du parti que j’avois pris; je dévorai ses notes; je m’y retrouvai, pour ainsi dire, par-tout. Pour sentir combien cette conformité me flatte, il faudroit savoir tout ce que vaut M. * * *. Je suis persuadé que tous les Amateurs des Sciences & des Arts, se trouveront aussi flattés que moi, & par les mêmes raisons, de la lecture de ses réflexions. J’userai donc dans toute son étendue, du pouvoir qu’il me donne de les publier; ses motifs me paroissent aussi justes que ses remarques. Elles nous conservent enfin le droit si doux, si flatteur de penser avec Horace, que... le Philosophe n’a dans toute la nature que les Dieux au-dessus de lui....

Ad summam, sapiens uno minor est Jove, dives,

Liber, honoratus, pulcher, Rex denique Regum.

[77]

RÉFUTATION

Decipimur specie recti.

.... sunt certi denique fines,

Quos ultrà, citràque nequit consistere rectum.*

[*L’Epigraphe, Decipimur specie recti... choisie par l’Auteur de ce Discours, pour nous annoncer que notre prévention en faveur des Sciences est une erreur; cette Epigraphe, dis-je, est la seule excuse qu’on puisse lui prêter à lui-même, encore n’est-elle pas fort bonne; car on peut être quelquefois trompé par les apparences & s’égarer; mais il faut pourtant convenir que le chemin du vrai a des marques distinctives, des limites, des bornes, certi denique fines; qu’il y a des regles pour s’y conduire: & en vérité elles me paroissent si évidentes dans l’opinion contraire à celle de l’Auteur, que je soupçonne qu’il a moins été séduit par les simples apparences du vrai, que par l’espoir de les réaliser à nos yeux à forcé de génie.]

Le rétablissement - qui ne s’en estime pas moins. L’Auteur est très-savant, & joue par conséquent ici un personnage feint & accommodé à la scene. Mais en général, sur quel fondement un honnête homme qui ne sauroit rien, ne s’en estimeroit-il pas moins? Qui peut disconvenir que si cet honnête homme étoit savant, il auroit toujours un talent de plus, & qu’ainsi il en seroit d’autant plus estimable? Mais est-il bien vrai qu’on puisse être parfaitement honnête homme & parfaitement ignorant tout ensemble? Ne faut-il pas au moins connoître ses devoirs pour les remplir? Ne faut-il pas les avoir appris par une éducation qui nous ait inculqué les principes d’une saine morale? Une science aussi essentielle que celle-ci vaut bien, ce me semble, qu’on ne la compte [78] pas pour rien, & que celui qui la posséde, ne se regarde pas comme un homme qui ne sait rien. Si l’Auteur entend par ne savoir rien, n’être point Géometre, Astronome, Physicien, Médecin, Jurisconsulte, &c. Je conviendrai qu’on peut être honnête homme sans tous ces talens; mais n’est-on engagé dans la société qu’à être honnête homme? Et qu’est ce qu’un honnête homme ignorant & sans talens? un fardeau inutile, à charge même à la terre, dont il consume les productions sans les mériter, un de ces hommes auxquels Horace fait dire....

Nos numerus sumus, & fruges consumere nati.

Il y a bien loin de cet honnête homme-là, à l’homme de bien vrai citoyen, qui pénétré de ses devoirs envers les autres hommes, envers l’Etat, cultive dès l’enfance toutes les Sciences, tous les Arts par lesquels il peut les servir, & par lesquels il les sert en effet, dès qu’il lui est possible.

........................................Quod si

Frigida curarum relinquere posses,

Quo te coelestis sapientia duceret, ires.

Hoc opus, hoc studium, parvi properemus & ampli.

Si patriae volumus, si nobis vivere cari.

Horat. Epist. 3. l. 1. v. 25.

Il sera difficile, ne m’ont point rebuté. La solution de ce problême est rendue très-curieuse & très-intéressante par le génie supérieur & le style séduisant de l’Auteur; mais il n’a point concilié les contrariétés qu’il sent lui-même.

[79] Ce n’est point la Science - devant des hommes vertueux. Défendre la vertu contre la Science qu’on regarde comme incompatible avec la premiere, n’est-ce point maltraiter cette Science? Et quand tout le Discours de l’Auteur tend à prouver l’incompatibilité de ces deux qualités, la vertu & la Science, comment peut-il composer chaque Académicien de Dijon de deux hommes, l’un Vertueux & l’autre Docte? Cette distinction subtile, par laquelle il a cru échapper aux contrariétés qu’il a lui-même remarquées dans son procédé, n’est-elle pas des plus frivoles?

La probité est--pour le sentiment de l’Orateur. Le sentiment de l’Orateur, si je ne me trompé, fait la piece principale de la constitution du Discours. Si le premier n’est point juste, l’autre ne sauroit être solide; & un discours sans justesse & sans solidité a beau être séduisant, il n’aura point mon suffrage.

Les Souverains--jugé en sa propre cause. L’Auteur convient donc qu’il attaque les Sciences, & que par-là nous devenons ses parties. Il ne nous regarde plus ici que comme Savans; mais nous nous souviendrons d’une chose qu’il a déjà oubliée, qui est que nous sommes gens de bien, & par-là nous serons ses partisans contre la Science, & des premiers à y renoncer, s’il prouve bien que celle-ci est contraire à la vertu.

[80]

PREMIERE PARTIE

C’est un grand & beau spectacle-depuis peu de générations. Voilà sans doute ce que l’Auteur rappelle le renouvellement des Sciences & des Arts. Il a raison de trouver ce spectacle grand, beau, merveilleux; on peut ajouter hardiment sur cette seule description, que cette admirable révolution, le triomphe, l’apothéose de l’esprit humaine est encore de la plus grande utilité pour les moeurs, pour le bien de la société, puisque notre Orateur reconnoît lui-même qu’une partie de ces Sciences renferme la connoissance de l’homme, de sa nature, de ses devoirs & de sa fin.

L’Europe-que l’ignorance. L’ignorance est donc déjà un état bien pitoyable; c’est pourtant là le sujet des éloges de ce Discours, la base de la probité & le grand ressort de la félicité, selon notre Auteur.

Je ne sais quel jargon -- au sens commun. La barbarie, l’état sauvage, la privation des Sciences & des Arts met donc les hommes hors du sens commun, puisque cette merveilleuse révolution les y a ramenés.

Elle vint enfin du côté -- naturelle. Il n’y a ici rien d’étrange qu’une petite tournure énigmatique dans le style; défaut qui n’est peut-être aussi que trop naturel aux Ecrivains de notre siecle. Les Sciences suivirent les Lettres; cela est très-naturel, ce me semble: on apprend les langues; on apprend à les parler, a les écrire poliment avant de pénétrer dans [81] les Sciences. A l’art d’écrire se joignit l’art de penser. Comment! ne penseroit-on qu’à l’Académie des Sciences? Et celle des Belles-Lettres seroit-elle composée d’Ecrivains automates? L’Auteur est trop intéressé à n’être pas de cet avis. Il veut dire seulement que la science des Belles-Lettres qui ne demande qu’une contention d’esprit médiocre, que des réflexions superficielles & légeres, a été suivie de l’étude des Sciences abstraites, profondes, où les génies les plus transcendans trouvent de quoi épuiser leurs efforts; & il a mieux aimé exprimer cette différence des Belles-Lettres aux Sciences d’une façon fine que juste.

Et l’on commença -- leur approbation mutuelle. Cet avantage du commerce des Muses est très-réel, & très-important. Inspirer le plaisir de plaire aux hommes, c’est concourir au grand œuvre de la félicité commune; car avec ces dispositions, non-seulement on n’a garde de rien faire qui leur soit contraire, mais encore on employe tous ses talens à leur être utile & agréable. Songez à tous les ressorts qu’un amant fait jouer pour plaire à sa maîtresse, & souvenez-vous dans la suite de ce Discours que l’Auteur convient que, par le commerce des Muses, l’homme devient l’amant de la société, & celle-ci sa maîtresse. Je crois qu’il aura de la peine à concilier sa these avec ces principes qui sont très-bons.

L’esprit a ses besoins, -- dont ils sont chargés. Ces portraits sont plus jolis que justes. Il s’en faut bien que les Sciences & les Arts soient de pur agrément. Leurs utilités sont sans nombre. Il n’est point vrai qu’ils ne fassent que couvrir de fleurs nos chaînes de fer: de telles chaînes, par-tout où [82] elles se trouvent, mettent des entraves au génie & éteignent les Sciences & les Arts.

Etouffent en eux -- des Peuples policés. Loin que les Sciences étouffent en nous le sentiment de la liberté originelle, c’est elles au contraire qui nous apprennent que la nature a fait tous les hommes égaux, & que l’esclavage est le fruit d’une tyrannie établie par la violence, par la raison du plus fort, suite inévitable de la barbarie. Mais c’est déshonorer la vraie idée d’un Peuple policé, que de nous le représenter comme une bête féroce à demi apprivoisée, comme un esclave sans sentimens pour sa liberté originelle, & assujetti à un joug honteux qu’il chérit encore, tant sa stupidité est extrême. L’homme policé est celui que les lumieres de la raison & de la morale ont convaincu que les loix & la subordination établies dans un Etat ont pour principe l’équité, & pour but sa propre félicité & celle de ses pareils. Persuadé de ces vérités, il est le premier à exécuter, à aimer, à défendre ces loix qui ont enlevé son suffrage, & qui sont sa sureté & son bonheur. Une société d’hommes qui pensent & qui agissent ainsi, forme ce qu’on appelle vraiment un Peuple policé.

Il y a toujours dans les Sociétés des individus pervers, qui n’ont ni les lumieres, ni la raison, ni l’éducation nécessaires pour ressembler à l’homme sociable que je viens de décrire; ce sont-là ceux qu’on ne tient dans l’ordre d’un peuple policé que par des chaînes, que sous un joug; mais on voit que ces hommes féroces sont ceux de notre espece qu’on n’a pu apprivoiser; c’est la partie non policée du peuple, & celle que le reste de la société est intéressée à retenir [83] dans une sorte d’esclavage. C’est cet esclave que l’Orateur nous donne ici pour un Peuple policé; esclave qui est précisément cette portion honteuse de l’humanité; qui est sans aucune des vertus sociales, sans aucune des qualités d’un Peuple policé.

Le besoin--les Arts les ont affermis. Le besoin & la raison ont élevé les trônes des vrais Rois. Les Sciences & les Arts qui sont à leur tour le trône de la raison, deviennent par-là le plus ferme appui des Souverains légitimes, par les heureux effets de la raison & de la justice, tant sur le Souverain que sur les sujets.

Puissances de la terre--Heureux esclaves. L’Auteur sacrifie toujours la justesse à l’agrément & à la nouveauté. Le trône d’un Peuple policé n’en fait point des esclaves, mais des pupilles heureux sous la tutelle d’un Pere tendre.

Vous leur devez -- de toutes les vertus sans en avoir aucune. C’est ici que notre Orateur commence à lever le masque. II veut que la douceur du caractere, l’urbanité des moeurs, le commerce liant & facile ne soient que des appas pour tromper les hommes. Il nous a dépeint, occupés du desir de plaire à ces mêmes hommes. Ici notre unique soin est de les tromper; là, nous étions les amans de la société; ici nous sommes de ces amans suborneurs & perfides, qui n’ont d’amant que les apparences, & dont le coeur scélérat n’a d’autre but que de déshonorer l’infortunée assez foible pour en être la dupe. Le portrait n’est pas flatteur, mais est-il vrai, c’est ce que nous allons examiner en suivant l’Auteur.

C’est par cette sorte de politesse -- le commerce du monde. La décence est déjà une espece de vertu, ou tout au moins [84] un ornement à la véritable vertu quand on la posséde, & un grand acheminement vers elle quand on n’a point encore atteint sa perfection.

Si nos maximes nous servoient de regles. On veut dire si notre conduite étoit conforme à nos maximes & à nos regles. Il arrive souvent sans doute, qu’elle n’y est pas conforme; mais combien plus souvent ce désordre n’arrivera-t-il pas à ceux qui n’ont ni regle ni maxime, aux ignorans, aux rustres, aux barbares?

Si la véritable Philosophie -- du titre de Philosophe! Par la même raison il y a bien des Philosophes qui n’en ont que le nom; mais qu’il y auroit encore bien moins de Philosophes, s’il n’y avoit point du tout de Philosophie!

Mais tant de qualités - en si grande pompe. S’il y a de la pompe ici, c’est dans le Discours de notre Orateur, & non pas dans la décence & dans le titre de Philosophe, qui décorent l’homme sage, vertueux & simple tout ensemble.

D’ailleurs.... aut virtus nomen inane est,

Aut decus & pretium rectè petit experiens vir.

Horat. Epist.

L’Auteur du Discours voudroit-il qu’on crût qu’il renonce à la vertu, parce qu’il aspire au titre de grand Orateur, & à la pompe d’une victoire sur tous ses concurrens.

La richesse de la parure -- se reconnoît à d’autres marques. Le sage, comme l’homme robuste, se reconnoît à ses actions; mais l’un & l’autre peut être paré & élégant, sans que cette circonstance dégrade leur mérite, au contraire elle le relevera, si la décence préside à leur parure.

[85] C’est sous l’habit rustique -- la vigueur du corps. Cela n’est pas toujours vrai à la lettre. M. le Maréchal de Saxe, & tant d’autres auroient fait mal passer leur tems aux plus rustiques laboureurs. la dorure des habits n’ôte ni la santé ni la forcé, elle ne peut qu’en relever l’éclat.

La parure -- qui se plaît à combattre nud. L’homme de bien est un brave prêt à combattre sous toutes les formes que le hasard ou le sort le forceront de prendre, nud, bien paré, mal équipé; tous ces accessoires lui sont indifférens.

Il méprise tous ces vils ornemens -- quelque difformité. Il est des ornemens & des armes qui tendent à rendre la victoire & plus sure & plus brillante. Le sage ne les néglige pas contre le vice & l’erreur; il se plie aux circonstances, aux tems, pour en supporter ou en rectifier les événemens; il s’accommode à ce que les moeurs de son siecle ont de décent, pour mieux réussir à corriger ce qu’elles ont de défectueux; il se fait ami, des hommes pour les rendre amis de la vertu.

Omnis Aristippum decuit color, & status & res.

Avant que l’Art eût -- épargnoit bien des vices. Jamais les hommes n’ont été moins vicieux qu’ils le sont, par la raison que jamais les Sciences & les Arts n’ont été tant cultivés. La nature abandonnée à elle-même, fait de l’homme un assemblage de tant de vices, que le foible germe de vertu que son Auteur y a mis, se trouvé bientôt étouffé. La terre n’a pas plutôt vu deux hommes sur sa surface, & encore deux freres, seuls maîtres de l’Univers, qu’elle a vu aussi l’un des deux massacrer l’autre par un principe de jalousie. En vain un [86] Dieu préside à la premiere peuplade, l’instruit, l’exhorte, la menace, elle continue comme elle a débuté; le crime se multiplie avec les hommes; ils le portent à un tel comble d’horreur, que l’Etre souverainement bois, infiniment sage, se repent d’avoir créé une race aussi perverse, & ne fait de meilleur remede aux abominations qu’il lui voit commettre, que de l’exterminer. Il n’est dans le monde entier qu’une seule famille vertueuse & exceptée du supplice. Voilà un échantillon de ce dont est capable la nature humaine, abandonnée à elle-même, à ses passions, sans le frein des loix, sans les lumieres des Lettres, des Sciences & des Arts.

Reprenons l’histoire de cette race; quelques siecles après ce châtiment terrible, nous la retrouverons bientôt aussi criminelle qu’auparavant; nous la trouverons escaladant le Ciel même, & se révoltant en quelque sorte contre son Auteur. Dispersés enfin, par une seconde punition, dans toutes les parties de la terre, ils y portent tous leurs vices. Bientôt l’adroit & robuste Nembrod leve l’étendard de la tyrannie, & fait de tous ceux de ces freres, qui ne sont ni si forts ni si méchans que lui, autant d’esclaves & de ministres de ses passions & de si violence. Sous cette troupe assemblée par le crime & pour le crime, succombent des Nations entieres, que ces malheurs n’instruisent que pour les porter à leur tour dans d’autres climats. Je vois la terre entiere livrée à ces leçons de barbarie; chaque particulier devient un Nembrod, s’il le peut; les Nations conjurées contre les Nations s’entr’égorgent ou se chargent de chaînes; elles forment aujourd’hui des Empires qui s’écroulent d’eux-mêmes le lendemain; ils cèdent au tumulte & au [87] torrent fougueux des mêmes passions qui les ont élevés. Que peut-on attendre de durable d’un principe plus déréglé & plus impétueux qu’une mer en fureur? Dieu Tout-puissant, quand vous lasserez-vous de voir la nature entiere en proie à tant d’horreurs? Je vois votre miséricorde s’attendrir sur l’état infortuné de la plus foible & de la moins coupable partie du genre-humain, le jouet & l’esclave de l’autre. Que fait votre sagesse infinie pour donner une face nouvelle à l’Univers? Elle fait naître ces hommes rares, avec lesquels elle semble partager son essence ineffable. Source de lumiere, vous ouvrez vos trésors à ces ames choisies; les Sciences, les Arts, l’urbanité, la raison & la justice, sortent du sein de ces génies créateurs, & se répandent sur la terre. Les hommes s’aiment, s’unissent, & sont des loix pour contenir ceux que le sort prive de ces lumieres, & que les passions gouvernent encore. La terre jouit d’une félicité qu’elle ne connoissoit point: elle est étonnée elle-même de ce prodige; elle en déifie les Auteurs, & attribue à miracle l’effet naturel de la culture des Sciences & des Arts. Apollon est adoré comme un Dieu. Orphée est un homme divin dont les accords inspirent aux lions, aux tigres la douceur de d’agneau, dont l’art enchanteur anime & donne des sentimens d’admiration & de concorde aux arbres, aux rochers mêmes. Amphion n’est plus un Orateur savant & profond politique, qui par la forcé de son éloquence transforme les Thébains féroces & barbares en un Peuple doux, sociable & policé. C’est un demi-Dieu, qui par les accens magiques de sa lyre donne aux pierres mêmes le mouvement & l’intelligence nécessaires pour s’arranger elles-mêmes, & former [88] l’enceinte d’une Ville.*

[*Avant que la raison s’expliquant par la voix,

Eût instruit les humains, eût enseigné des Loix

Tous les hommes suivoient la grossiere nature;

Dispersés dans les bois couroient à la pâture.

La forcé tenoit lieu de droit & d’équité:

Le meurtre s’exerçoit avec impunité.

Mais du discours enfin l’harmonieuse adresse.

De ces sauvages moeurs adoucit la rudesse;

Rassembla les Humains dans les forêts épars,

Enferma les Cités de murs & de remparts;

De l’aspect du supplice effraya l’insolence,

Et sous l’appui des Loix mit la foible innocence.

Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers.

De-là sont nés ces bruits reçus dans l’Univers,

Qu’aux accens dont Orphée emplit les monts de Thrace,

Les Tigres amollis dépouilloient leur audace:

Qu’aux accords d’Amphion les pierres se mouvoient,

Et sur les murs’Thébains en ordre s’élevoient.

L’Harmonie en naissant produisit ces miracles.

Boil. art poet. ch. IV.] *

[*Silvestres homines sacer, interpresque Deorum,

Caedibus & victu foedo deterruit Orpheus,

Dictus ob hoc lenire tigres, rabidosque leones.

Dictus & Amphion Thebanae conditor arcis,

Saxa movere sono testudinis, & prece blanda

Ducere quo vellet. Fuit haec sapientia, &c.

Hor. art poet. v. 391.]

Ce que les premiers génies de l’Arabie, de l’Egypte & de la Grece ont fait jadis; ceux qu’ont vu naître les regnes des Augustes, des Médicis, des François I, des Louis XIV, l’ont répété dans les siecles postérieurs. [89] De-la sont sortis ces grands ressorts de la sage politique, ces alliances raisonnées & salutaires, cette balance de l’Europe, le soutien des états qui la composent. Enfin les Sages de l’Orient n’avoient été que des Législateurs des Peuples; ceux de l’Occident ont poussé les progrès de la sagesse jusqu’à devenir les Législateurs des Souverains mêmes, parce qu’aucun siecle n’a poussé si loin les Sciences & les Arts, & par conséquent la raison & la sagesse.

Dans tous les siecles néanmoins ces chaînes si salutaires & si raisonnables établies entre les Rois, entre les Peuples, se sont souvent trouvées rompues. Ces malheurs n’arriveroient point, si tout un peuple étoit savant, si tous les Rois étoient Philosophes. Quelque éclairé, quelque policé que soit un Etat, le Philosophe y est beaucoup plus rare, que ne sont dans une digue les pilotis de ces boulevards qui s’opposent au débordement d’un fleuve rapide, aux fureurs d’une mer agitée: les peuples sont ces flots impétueux qui renversent quelquefois & les pilotis & la digue qu’ils soutiennent; & malheureusement les Rois eux-mêmes sont quelquefois peuple en cette partie.

Mais avons-nous besoin de remonter aux premiers siecles du monde, & d’en parcourir tous les âges, pour prouver que les hommes instruits, policés, sont meilleurs? N’avons-nous pas actuellement sur la terre, dans nos climats même, des échantillons des hommes de toutes les especes. Dites-moi, je vous prie, illustre Orateur, est-ce dans des Royaumes où fleurissent les Universités & les Académies, qu’on rencontre la galante nation des Antropophages, ce peuple plein d’humanité & de sentiment, chez lequel les enfans sont honorés [90] pour avoir bien battu leurs meres, & où l’on regarde comme une loi d’Etat, & un devoir envers ses parens chargés d’années, de les laisser mourir de faim?*[*Nous ne voyons point la galante nation des Antropophages, dira-t-on, mais nous avons celle des Cartouches, des Nivets, des Raffiats, &c. Parlons plus noblement, nous voyons celle des braves qui s’égorgent pour un léger affront, malgré la loi & la religion.

La loi & la religion sont donc contraires à ces crimes, & en empêchent sans doute un grand nombre; tandis que de massacrer de manger des hommes est une coutume, une loi de la Nation dont je viens de parler. Il y a quelques Cartouches parmi nous; la férocité est un vice à l’unisson chez tous les Antropophages: nos scélérats sont abhorrés, on les saisit dès qu’on les connoît, & ils expirent dans les supplices. Les Antropophages sont toute leur vie l’horrible commerce dont ils portent le nom, & sont applaudis de leurs Compatriotes.

Le duel en particulier et un accident dépendant de la férocité guerriere, & il ne subsisteroit point non plus que son principe, si l’empire des Lettres & des Beaux-Arts étoit plus étendu, si tous les hommes étoient Philosophes. Mais dans la supposition que cette férocité soit un mal nécessaire, quelque funeste, quelque blâmable que soit le duel, on peut en quelque sorte l’excuser par la délicatesse des sentimens qu’il suppose & qu’il entretient dans notre jeunesse guerriere, par la décence & le respect réciproque qu’il leur inspire. Il résulte donc de ce desordre même une espece d’ordre & d’harmonie. Rien de semblable ne peut être allégué en faveur des Antropophages & des Hottentots, peuples cruels sans nécessité, par habitude, & par le seul plaisir d’être cruels.] N’allons pas chercher si loin des exemples de la barbarie & du vice attaché aux ténebres de l’ignorance; parcourons seulement les campagnes de France les moins cultivées par les Arts, les moins policées, & comparons leurs moeurs avec celles des habitans des grandes Villes. Que trente jeunes paysans de différens villages de la Thierache, ou de la Bretagne, &c. se trouvent rassemblés à une fête de village pour la danse, vous aurez plus de combats, plus de blessures, plus de meurtres de la grossiéreté passionnée [91] & farouche de ces trente rustres, que vous n’en aurez dans cent bals de l’opéra qui rassembleront cinq cents personnes; que vous n’en aurez en trois mois dans une ville peuplée d’un million d’habitans. Avez-vous une ferme, une terre dans ces cantons policés? votre fermier en est autant propriétaire que vous-même. Il vous paye, il est vrai, le contenu de votre bail, mais il ne vous laissé pas la liberté d’être encore mieux payé par un autre. Vos biens passent de pere en fils aux descendans du fermier comme à ceux du propriétaire, & si vous vous avisez de trouver que vous êtes le maître d’en disposer en faveur d’une autre race, ou celle-ci ne sera pas assez hardie pour l’accepter, ou vous verrez bientôt votre terre réduite en cendres, & votre nouveau fermier assassiné. Vous êtes en France, les loix vous vengeront; elles vous prouveront, comme moi, que la vertu ne réside & ne trouvé de défense que dans un Etat bien policé, & que vous feriez perdu sans ressources, si votre terre étoit placée dans des climats où les loix sont inconnues, excepté celles des passions & de la violence; si enfin vous étiez dans ces premiers siecles où la nature seule gouvernoit les hommes; vrais siecles de fer, quoiqu’en disent la Fable & les Poetes ses ministres.

Tel est l’abrégé très-succinct des preuves que l’histoire des siecles passés, & celle du nôtre même, nous fournit de l’union intime du crime avec la barbarie, avec l’ignorance, & au contraire de la liaison nécessaire de la vertu, de la raison avec les Sciences, les Arts, l’urbanité: mais quand l’histoire n’en diroit pas un mot, n’avons-nous pas dans les principes physiques de ces choses mêmes, dans leur nature, de quoi [92] prouver ce que ces événemens viennent de nous apprendre?

La propre constitution de l’homme le rend sujet à mille besoins. Il a des sens qui l’en avertissent, & chacune de ses sensations de besoins est accompagnée d’une action de la volonté, d’un desir d’autant plus violent que le besoin en est plus grand, ou l’organe qui en instruit, plus sensible. Ce même acte de la volonté fait jouer tous les ressorts du mouvement de la machine propres à satisfaire les besoins, à remplir les desirs. Voilà la marche naturelle de la nature humaine, & une suite d’effets aussi attachés à son méchanisme, que l’est à celui d’une pendule le partage du jour en 24 heures. Par elle-même, le bien-être de l’individu est son unique objet, l’unique fin à laquelle cet individu rapporte toutes ses actions. S’il n’y avoit qu’un homme dans l’Univers, il seroit à même de se contenter, sans le faire aux dépens d’aucun être qui pût s’y opposer ou s’en plaindre; mais dés que l’objet de ses desirs se trouvé partagé entre plusieurs hommes, il arrive souvent qu’il faut qu’il apprenne à s’en passer, ou qu’il le ravisse à celui qui le posséde. Qu’est-ce que lui dicté la nature en pareil cas? Elle ne balance pas; elle n’a rien de plus cher qu’elle-même, & de plus pressé que de se satisfaire; elle lui dit très-positivement que, si le possesseur de l’objet desiré est plus foible, il faut le lui ravir sans façon; & que s’il est capable d’une résistance qui rende l’acquisition douteuse, il faut y suppléer par l’art, lui tendre une embuscade, ou imaginer un arc & une fléche qui l’atteigne de loin, & qui nous défasse de l’inquiétude où nous met ce desir, ou la crainte d’être troublé dans la possession de l’objet, quand nous l’avons acquis. Ainsi [93] parle la nature; ainsi a-t-elle conduit les premiers hommes; ainsi a-t-elle produit ces siecles d’horreurs que nous avons ci-devant parcourus.

Qu’a fait la culture des Sciences & des Arts? Qu’a fait la nature perfectionnée par la réflexion? Qu’a fait la raison enfin pour sauver à la nature humaine toute brute, le déshonneur où elle se plongeoit? Ecoute, a-t-elle dit à cet individu, tu veux enlever à ton voisin un bien qui est à lui; mais que penserois-tu, s’il te ravissoit le tien? Pourquoi te crois-tu autorisé à faire contre lui ce que tu serois bien fâché qu’il fît contre toi? Et qui t’a dit que sont autre voisin ne se joindra point à lui pour te punir de ta violence? Réprime donc un desir injuste, & qui peut avoir des suites funestes pour toi-même. Ne desire que ce qui t’appartient, ou que tu peux obtenir légitimement. Tu es adroit & vigoureux, employe tes talens à te défendre & non à attaquer: employe-les à défendre tes voisins: ils t’aimeront; ils te regarderont comme leur protecteur, leur chef; & tu auras d’eux, par cette voie généreuse, & leur amitié & tout ce que tu n’aurois pu leur ravir qu’avec injustice, & en essuyant des dangers. Réponds-moi, dit-elle, à un second; toi qui joins au génie un caractere laborieux, je t’ai vu construire ta cabane avec plus d’adresse & plus d’art qu’aucun autre; que n’en fais-tu une pareille, ou une plus belle même à ton voisin, qui n’a pas l’adresse de s’en construire une? Il est meilleur chasseur que toi, il fournira abondamment à des besoins que tu as peine à satisfaire, & il te payera encore de sa reconnoissance & de son amitié. Tu dors, dit-elle à un troisieme, & tu imites [94] ton troupeau rassasié & fatigué des pâturages où tu l’as promené tout le jour; je te connois capable des plus vastes réflexions; peux-tu ne pas lever les yeux sur ces astres brillans dont le Ciel est paré dans cette belle nuit? Reconnois-les, observe leurs cours, tires-en les moyens de connoître les régions de la terre, le plan de l’univers, & de déterminer l’année, ses saisons. Tu deviendras l’admiration des autres hommes, & l’objet de leurs hommages & de leurs tributs. Que fais-tu paresseux, dit-elle à un quatrieme? tu es ingénieux, & tu passes les journées entieres dans l’oisiveté & la rêverie. Prends-moi ce roseau, vides-en la moelle, perces-y des trous, souffle contre le premier, & remue avec art les doigts sur les autres, tu vas produire des sons qui feront accourir autour de toi tous les humains de la contrée; ravis de t’entendre, ils t’estimeront par-dessus les autres, & il n’y a point de présens qu’ils ne te fassent pour t’engager à leur procurer ce plaisir. Vois-tu, dit-elle à un cinquieme, ce que viennent de faire tes voisins pour le bien général de l’habitation? Quelle émulation, & quelle estime réciproque a mis parmi eux le génie inventif? Quelle union résulte des services mutuels qu’ils se rendent, ou des plaisirs qu’ils se sont par-là? Quelle sureté produit dans cette union cette estime, cette amitié réciproque, & l’équité dont se piquent la plupart de ses membres? Toi qui sens mieux qu’un autre, l’utilité & le bonheur d’un pareil état, & qui es un des plus sages & des plus éloquens de l’habitation, persuade-leur à tous de se faire une loi de vivre toujours, comme le sont les meilleurs d’entr’eux, de punir ceux qui [95] s’en écarteront, & d’exciter par des hommages & des récompenses les hommes vertueux & habiles, auxquels ils doivent ces précieux avantages, à les porter encore à une plus grande perfection.

Ainsi parla la raison; ainsi le génie, en prenant l’essor, développa le germe de l’équité & de l’urbanité, étouffé par la barbarie. Mais sans cette raison, premier effort du génie, que devenoit la vertu? Sans l’éducation, sans la culture des Sciences & des Arts, que deviennent les moeurs? Quels sont les objets essentiels de cette éducation? Que mon Orateur me suive ici, & qu’il n’élude pas la question par le brillant de ses sophismes; ne sont-ce pas nos devoirs envers l’Etre suprême & envers le prochain? C’est à des enfans qu’on inculque ces devoirs, c’est sur de la cire molle qu’on en imprime l’obligation: ils croîtront donc, non-seulement bien instruits, mais encore convaincus de la nécessité de ces devoirs. Comment ne les rempliroient-ils pas, dés qu’ils en sont bien convaincus? Comment feraient-ils faux-bond à la vertu, à la probité qu’ils estiment, qu’ils aiment & qu’ils révérent? Et s’il en est encore quelques-uns, dont la nature perverse, malgré tant de circonstances propres à les ranger sous l’étendard de l’honneur, les engagé à se dégrader, à se livrer au vice, que n’eussent-ils pas fait, & en combien plus grand nombre n’eussent-ils pas été, s’ils eussent manqué de tous ces secours, de l’éducation & des Lettres?* [*Vous faites faire, dira quel-qu’un...aux Sciences, aux Arts, à la raison, ce qu’a toujours fait la loi naturelle, puisque vous leur attribuez même ce premier principe si simple, alteri ne feceris quod tibi fieri non vis.

Qu’entend-on par la loi naturelle? Sont-ce les instincts, les mouvemens que tous les hommes reçoivent de la nature toute brute? Dans ce cas-là je dis que la loi naturelle ne nous dicté que de satisfaire nos desirs, quelqu’effrénés qu’ils soient, qu’elle est le principe de la barbarie, & qu’elle ne fait rien de ce que nous venons de faire à la raison, aux Sciences & aux Arts, ainsi que je viens de le prouver. Veut-on appeller loi naturelle celle qui ordonne aux hommes de se chérir réciproquement? alors je soutiens que cette loi est une suite de la réflexion & de l’expérience; que c’est une loi naturelle réduite en art, en science, par des raisonnemens qui nous sont voir que l’empire sur nos passions, la privation de plusieurs de nos desirs; nous sont souvent plus avantageux que la jouissance illégitime des biens desirés;& que quand même nous n’y trouverions pas notre avantage, la justice exigeroit de nous que nous agissions ainsi. Or, ces progrès de la raison vers l’équité, sont les premiers fondemens qu’elle a jettés de la Morale, ils sont déjà un commencement du grand art de se conduire parmi les autres hommes; mais cette science qui tend au bien de la société, contrarie en même tems les mouvemens naturels du particulier.

D’où vient, je vous prie, accorde-t-on tant d’estime à la vertu, tant d’admiration à ces actions généreuses, par lesquelles des particuliers se sont sacrifiés pour leurs amis, pour leurs concitoyens? C’est que toutes ces belles actions ne sont pas dans la simple nature; c’est que pour en former le projet, le systême, il a fallu des efforts de génie, & pour les exécuter, de plus grands efforts encore de la part de l’aine, peut être même d’un peu d’un certain enthousiasme, pour renoncer à sa propres intérêts & leur préférer ce-lui de ses amis, de ses citoyens, de sa patrie. Qu’est-ce que la générosité, sinon ce sacrifice de son bien particulier à celui des autres? Or, tous ces procédés sont supérieurs à la loi purement naturelle, supérieurs à ces instincts dont nous parlions tout-à-l’heure; c’est même par cette raison & par l’intérêt particulier que nous avons que les autres hommes fassent beaucoup de pareilles actions, que nous leur accordons tant d’éloges. Ainsi, quand on dit communément, que ce principe, ne fais à autrui que ce que tu voudrois qu’on te fît, est une loi naturelle; on entend que c’est la premiere consequence que la raison a tirée de ses réflexions, & de l’expérience, le premier principe enfin de la science de la morale naturelle, de la morale établie indépendamment des lumieres de la révélation; mais cette morale est vraiment un de ces Arts, une de ces Sciences auxquelles j’ai attribué l’heureuse révolution arrivée dans le genre-humain.]

[96] Aujourd’hui--jettés dans un même moule. Tant mieux si la forme est bonne.

Sans cessé la politesse -- propre génie. On fait fort bien de ne pas suivre son propre génie, quand il est conforme à une nature perverse; alors on doit prendre pour regles les réformes qu’y ont fait faire les réflexions des sages; mais quand on posséde un bon génie, on peut hardiment se donner carriere: on se sera tout à la fois & admirer & aimer.

On n’ose plus paroître ce qu’on est. Oh! nous y voilà: on est naturellement méchant; l’éducation nous a appris qu’il ne faut point l’être. Nous sommes honteux de sentir en nous que cette éducation n’a pas encore déraciné ces vices; nous nous efforçons au moins de paroître vertueux. Cet effort est [97] un premier pas à la vertu: Initium sapientae timor Domini, & la preuve du bien qu’a fait chez nous l’éducation. Sans elle cet homme-là auroit été méchant sans honte & sort ouvertement. Plus il sera honteux d’être vicieux, moins il succombera; & plus il aura eu d’éducation, toutes choses égales d’ailleurs, plus cette honte sera grande, & moins il osera être vicieux. L’Auteur convient par-là, malgré lui, de l’utilité des Sciences, des Arts, de l’éducation.

On peut rapporter au même principe ce que nous appellons l’honneur, le point-d’honneur, ce tyran magnanime dont le pouvoir despotique & souvent salutaire, gouverne tous les Peuples civilisés, ce grand mobile des actions de tous les hommes, de ceux mêmes qui n’ont ni religion ni vertus réelles. Or, ce frein le plus puissant, le plus universel contre les actions [98] basses, honteuses, vicieuses, d’où nous vient-il, sinon de l’éducation? Pourquoi une Sauvage se prostitue-t-elle publiquement & sans façon, tandis que ce que nous appellons une femme d’honneur, perdroit la vie plutôt que la réputation qui lui fait donner cette épithete, & que ceux qui l’ont perdue, cachent encore avec soin leurs foiblesses? C’est que la Sauvage suit le seul instinct de la nature, & qu’on ne lui a jamais dit qu’il y avoir du mal à se laisser aller au torrent de les passions: au lieu qu’on a inculqué dès l’enfance à nos femmes des regles de morale divine & humaine sur cet article, & qu’on les a persuadées qu’il est honteux de s’abandonner aux vices contre les lumieres & les préceptes de cette morale.

Ce point-d’honneur, ce frein plus général que la religion même, & qui lui est souvent fort utile, sera donc d’autant plus puissant, qu’on aura mieux inculqué ces vérités, ces préceptes de morale, & qu’on aura donne plus d’éducation. Les hommes seront donc d’autant moins vicieux, qu’ils seront moins ignorans, mieux instruits.

Et dans cette contrainte--qu’il eût été essentiel de le connoître. Qui est-ce qui est la dupe des politesses que l’usage a établies, & qui les confondra avec les offres sinceres de services que vous fait un ami? La simple urbanité & l’urbanité échauffée par une amitié vive & sincere, ont des tons si différens, que le moins versé dans le commerce du monde ne s’y méprend pas. Le fourbe même, qui s’étudie à jouer le personnage de celui-ci, n’est gueres plus difficile à pénétrer, qu’il n’est embarrassant de distinguer une coquette d’une véritable [99] amante. Au reste, si les hommes se trahissent dans un siecle où l’éducation, l’honneur & les sentimens regnent plus que jamais, à quoi a-t-on dû s’attendre dans les siecles d’ignorance & de barbarie? Croit-on que les hommes plus vicieux alors aient été moins malins, moins trompeurs, parce qu’ils étoient moins savans? c’est une erreur très-grossiere que de croire que les Sciences & les Arts rendent les hommes plus fins, plus artificieux. Je pourrois citer cent traits de la plus naïve simplicité pris dans les plus grands hommes, depuis La Fontaine jusqu’à Newton. Celui qui raconte avec tant d’art les fourberies du renard & du loup, ne garde pour lui que la simplicité de l’agneau. Celui dont la sagacité étonne l’univers, quand il s’agit de sonder les profondeurs de la nature, quand il s’agit de donner la torture à la lumiere, de lui extorquer ses secrets par des ruses physiques aussi fines que cette matiere est subtile; celui-là même n’a plus vis-à-vis d’une femme, d’un homme du monde, qu’une timidité, une ingénuité rustique qui se trouvé primée par la frivolité même. L’aigle des Académies devient le butor des cercles. Ce sera bien pis, s’il est question de l’art de pénétrer les petits détails d’intérêt, d’affaires de commerce, les finesses, les stratagêmes qui sont partie de cet art si connu du commun des hommes. J’ose avancer sans crainte d’être contredit par aucun homme raisonnable, qu’en cette partie, une douzaine de ces hommes transcendans, va être le jouet d’un rustre Bas-Normand ou Manceau, & la raison en est aussi simple qu’eux; leur sublime génie est entiérement occupé des sujets qui leur sont proportionnés; il n’est jamais des descendu [100] dans ces petits détails des usages & des affaires de la vie commune en ignore tous les replis, tous les petit détours, dont le rustre a fait son unique étude.

S’il est donc dans le monde poli de ces hommes artificieux en grand nombre, c’est que le plus grand nombre des membres de la société, préfére la science du monde, de ses manieres, de ses ruses, de ses intérêts à la science de la nature & des Beaux-Arts; & pourquoi dans cette société, la partie la plus aimable & la plus à craindre, la plus foible & la plus séduisante, passe-t’elle pour la plus artificieuse? C’est que par son genre de vie elle est la moins instruite, la moins savante. Aujourd’hui qu’on revient de la prévention contre les femmes savantes, qu’on les reconnoît autant & plus propres que nous aux belles connoissances, qu’elles s’y appliquent; quoi de plus aimable & de plus sur tout à la sois que leur commerce? Si donc vous cherchez de l’artifice, adressez-vous dans les deux sexes à cette partie frivole, dont l’éducation aussi futile qu’elle, n’admet aucune science, aucun art solide, qui ne connoît que de nom ces flambeaux de la vérité, ces remparts de la vertu. Vous ne trouverez point l’homme artificieux parmi les savans, parmi les gens livrés en entier aux Beaux-Arts, ou; s’il est possible qu’il s’en trouvé, ce sera un entre dix mille, que n’aura pas préservé de ce penchant trop naturel l’art le plus capable de le faire.

Quel cortege de vices --aux lumieres de notre siecle. Nous venons de répondre à cette déclamation.

On ne profanera plus--on le calomniera avec adresse. Notre Auteur convient que nos gens à éducation, que nos gens [101] polis, lettrés, ne sont pas capables d’outrager grossiérement leurs ennemis, mais qu’en revanche, la dissimulation, la calomnie adroite, la fourberie, sont le partage de cette partie civilisée.

C’est déjà un grand avantage pour la société que les Lettres ayent extirpé les vices grossiers; mais quand l’Auteur croit que les défauts moins importans se sont multipliés & ont fait une compensation, c’est une erreur dans laquelle personne ne donnera. A qui pourra-t’on persuader qu’un homme assez féroce pour exécuter le vol, le meurtre, tel qu’on en trouvé tant dans la lie du peuple & des paysans, &c. se sera un scrupule d’être dissimulé, fourbe? Ce sont-là de belles bagatelles pour des scélérats capables de tremper leurs mains dans le sang humain! Convenons donc que la partie grossiere des hommes de ce siecle même, la partie peu civilisée, à demi barbare, est la plus méchante; & nous concevrons que quand tout le genre-humain étoit sauvage, barbare, pire encore que la grossiere espece dont nous venons de parler, tous les hommes étoient beaucoup plus méchans qu’ils ne sont aujourd’hui.

Les haines nationales s’éteindront -- que leur artificieuse simplicité. Notre Orateur copie ici le Misanthrope de Moliere: il ne lui manque plus que de dire avec lui....

J’entre en une humeur noire, en un chagrin profond,

Quand je vois vivre entr’eux les hommes comme ils sont;

Je ne trouvé par-tout que lâche flatterie,

Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie;

[102] Je n’y puis plus tenir, j’enrage, & mon dessein

Est de rompre en visiere à tout le genre-humain.

Nous lui répondrons avec Ariste...

Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage,

Je ris des noirs accès où je vous envisage.

Telle est la pureté -- devineroit exactement de nos moeurs le contraire de ce qu’elles sont. Un sauvage, sans doute, qui prendroit à la lettre toutes nos politesses, & qui croiroit bonnement que tout le monde est son serviteur, parce que tout le monde le lui dit, seroit fort étonné de ne trouver aucun laquais à ses gages parmi sus honnêtes serviteurs. Mais quand il compareroit ensuite le fond de la vie & des moeurs de nos peuples avec ce qui se passe dans sa nation barbare, quand il seroit en état de comparer les prodiges que les Sciences & les Arts ont inventés pour la sureté, les besoins & les commodités de la vie, pour l’amusement & le bonheur des hommes, avec la pauvreté & la misere affreuse de ses compatriotes exposés aux injures de toutes les saisons, vivans de chasse, de pêche, & de ce que la terre donne d’elle-même, & mourans de faim, de froid, ou des maladies les plus aisées à guérir, quand le hasard & la nature, leurs seules ressources, leur manquent au besoin; quand il seroit assez instruit pour comparer notre Jurisprudence, cette police admirable qui met le foible & l’orphelin à l’abri des violences du plus fort & du plus méchant, qui fait vivre ensemble des millions d’hommes avec douceur, politesse, égards, services réciproques, comme le dit si élégamment notre Orateur; quand il seroit, dis-je, [103] en état de comparer cette harmonie admirable avec les désordres affreux annexés à la barbarie, aux moeurs sauvages, alors il se croiroit transporté dans le séjour des Dieux, & il le seroit en effet, par comparaison avec son premier état.

Où il n’y a nul effet -- nos Arts se sont avancés à la perfection. On dit aller à la perfection, & non pas s’avancer à la perfection, mais bien s’avancer vers la perfection: comme on dit, aller à Paris, & non pas s’avancer à Paris, mais bien s’avancer vers Paris; & la raison en est simple, c’est que celui qui va à un lieu, est censé l’atteindre, aller jusques-là? au lieu que celui qui s’avance vers quelque chose, peut fort bien ne faire que quelques pas vers elle, & en rester là. En fait de Sciences, je n’y regarderois pas de si près, j’y sacrifie volontiers la pureté du langage à une expression plus nette & plus forte; mais un Orateur doit être scrupuleux sur la langue.

Dira-t-on que c’est un malheur -- & dans tous les lieux. Voilà une déclaration bien formelle du paradoxe que l’Auteur ose soutenir; suivons-le dans les prétendues preuves qu’il va donner de propositions aussi révoltantes & aussi fausses.

Voyez l’Egypte -- & enfin des Turcs. Ces faits historiques prouvent-ils le moins du monde que l’Égypte polie par les Sciences & les Arts en fût devenue moins vertueuse pour être devenue plus foible. Cette preuve au contraire ramenée à la vérité nous apprend que l’Égypte conquérante est l’Égypte barbare & féroce; que l’Égypte conquise est l’Égypte savante, civilisée, vertueuse, assaillie par des peuples aussi barbares & aussi féroces, qu’elle l’étoit elle-même autrefois. Qu’y a-t-il là qui ne soit conforme à la nature & à notre these? N’est-il [104] pas dans le cours ordinaire de cette nature, toutes choses égales d’ailleurs.....

Que la férocité terrasse la vertu.

Voyez la Grece -- que le luxe & les Arts avoient énervé. Enervé, passe, mais de moeurs corrompues, c’est une question que notre Orateur n’a pas même effleurée, & que j’ose le défier de prouver.

C’est au tems des Ennius -- le titre d’arbitre du bon goût. Tout le monde fait que Rome doit son origine à une troupe de brigands rassemblés par le privilege de l’impunité, l’enceinte formée par son fondateur. Voilà le germe des conquérans de la terre, objet des éloges de ce Discours, en voilà l’échantillon; des scélérats réunis par le crime & pour le crime. Je conseille à notre Orateur de placer ces Héros que nous verrions aujourd’hui expirer par divers supplices bien mérités, les placer, dis-je, vis-à-vis des Ovides & des Catulles, &c.

Que dirai-je de cette Métropole -- peut-être par sagesse que par barbarie. Voilà un peut-être bien prudent, & bien nécessaire à cette phrase; car comment croire que les peuples de l’Europe encore barbares, aient refusé avec connoissance de cause d’admettre les Sciences chez eux? Ils n’avoient pas lu le Discours de notre Orateur.

Tout ce que la débauche -- les lumieres dont notre siecle se glorifie. Toutes ces horreurs prouvent que dans l’Empire les mieux policé, le plus savant, il y a des ignorans, il y a des barbares. Tout un peuple peut-il être savant dans le royaume où les Sciences sont le plus cultivées? Tous les hommes ont-ils [105] des moeurs dans les états où la morale la plus pure regne avec le plus de vigueur? La plus nombreuse partie des sujets d’un pareil Etat, est toujours privée de la belle éducation; & il est, sans doute, encore parmi l’autre, des natures assez rebelles pour conserver leurs passions, leur méchanceté, malgré le pouvoir des Sciences & des Arts. Un siecle éclairé, policé, est plus frappé qu’un autre de ces anecdotes honteuses au genre-humain. II est fécond en Historiens qui ne manquent pas de les transmettre à la postérité; mais combien de mille volumes contre un, n’auroit-on pas rempli des noirceurs qui se sont passées dans les siecles barbares, dans les siecles de fer, s’ils n’y avoient pas été trop communs pour mériter attention, ou s’il s’y étoit trouvé des spectateurs, gens de probité, & en état d’écrire?

Mais pourquoi chercher -- libres & invincibles. Epurer les moeurs, & donner ce que l’Auteur entend ici par courage, sont deux choses tout-a-fait différentes, & peut-être même opposées.

La valeur guerriere est de deux sortes; l’une que j’appellerai avec l’Auteur courage, a son principe dans les passions vives de l’ame, & un peu dans la forcé du corps; celle-ci nous est donnée par la nature, c’est elle qui distingue le dogue d’Angleterre du barber & de l’épagneul; le propre nom de ce courage est la férocité, & il est par conséquent un vice. La valeur guerriere de la deuxieme espece, & celle qui mérite vraiment le nom de valeur, est la vertu d’une ame grande & éclairée tout ensemble, qui pénétrée de la justice d’une cause, de la nécessité & de la possibilité de la défendre, & la croyant [106] supérieure aux avantages de si vie particuliers, exposé celle-ci pour obtenir l’autre, en faisant servir toutes ses lumieres a choix des moyens prudens qui conduisent à son but. Le courage féroce est: la valeur ordinaire du soldat; c’est un mouvement impétueux & aveugle que donne la nature, & qui sera d’autant plus violent, d’autant plus puissant, que les passions seront plus vives, plus mutines, qu’elles auront été moins domptées; en un mot, moins l’individu aura eu d’éducation, plus il sera barbare. Voilà pourquoi les rustres des provinces éloignées du centre d’un Etat policé, & les montagnards sont plus courageux que les artisans des grandes villes. Il est hors de doute que la culture des Sciences & des Arts éteint cette espece décourage, cette férocité; parce que la soumission, subordination perpétuelle qu’impose l’éducation, la morale qui dompte les passions, les accoutument au joug, en étouffent le feu, les incendies. De-là naît la douceur des moeurs, l’équité, la vertu; mais aux dépens de la férocité qui fait le bon soldat. L’art de raisonner, peut devenir un très-grand mal dans celui qui ne doit avoir que le talent d’agir. Que deviendroient la plupart des expéditions guerrieres, si le soldat y raisonnoit aussi juste que l’âne de la Fable....

Et que m’importe à qui je sois?

Battez-vous, & me laissez paître:

Notre ennemi, c’est notre maître,

Je vous le dis en bon François.

La Fontaine, Fabl. 8. l. VI.

Rois de la terre, dont la sagesse doit employer utilement [107] jusqu’aux vices, ne travaillez pas à conserver à vos peuples la férocité, mais choisissez les bras de vos armées dans la partie de vos sujets la moins polie, la plus barbare, la moins vertueuse, vous n’aurez encore que trop à choisir, quelque protection que vous accordiez aux Sciences & aux Arts; mais cherchez la tête qui doit conduire ces bras, cherchez-là au temple de Minerve, Déesse des armes & de la sagesse tout ensemble, parmi ces sujets dont l’ame aussi éclairée que forte, ne connoît plus les grandes passions que pour les transformer en grandes vertus, ne ressent plus ces mouvemens impétueux de la nature, que pour les employer à entreprendre & à exécuter les plus grandes choses.

Des notions que je viens de donner du courage, & je les crois très-saines, & prises dans la nature; il résulte qu’une armée toute faite d’un peuple policé, une armée toute composée de Bourgeois, d’Artisans, de Grammairiens, de Rhéteurs, de Musiciens, de Peintres, de Sculpteurs, d’Académiciens du premier mérite même, & de la vertu la plus pure, seroit une armée fort peu redoutable. Telle étoit apparemment en partie celle que les Chinois, les Egyptiens, très-savans & très-policés, ont opposée aux incursions des Barbares; mais cette armée, toute pitoyable qu’elle est, n’est telle que parce qu’elle est composée d’un trop grand nombre d’honnêtes gens, d’un trop grand nombre de gens humains & raisonnables, de gens qui disent....

Est un grand fou qui de la vie

Fait le plus petit de ses soins,

[108] Aussi-tôt qu’on nous l’a ravie,

Nous en valons de moitié moins.

....................................................

Par ma foi c’est bien peu de chose

Q’un demi Dieu quand il est mort.

Du moment que la fiere Parque

Nous a fait entrer dans la barque,

Où l’on ne reçoit point le corps;

Et la gloire & la renommée

Ne sont que songe & que fumée,

Et ne vont point jusques aux morts.

Voiture, tom. 2.

Au moins nous serons en droit de croire, que ces guerriers devenus lâches à forcé de savoir & de politesse, n’en étoient, pas moins remplis de raison, d’humanité & de vertu, jusqu’à ce que l’Auteur du Discours nous ait bien prouvé qu’on ne peut être à la fois honnête homme & poltron.

Mais s’il n’y a point de vice -- pour sa fidélité que l’exemple n’a corrompre.* L’Auteur confond par-tout la vertu guerriere du soldat, la férocité avec la véritable vertu, la probité, la justice. En suivant ses principes, on croiroit les soldats plus vertueux que leurs Officiers; les paysans plus gens de bien que leurs Seigneurs, & l’on crieroit à l’injustice, de voir que nos tribunaux ne sont occupés que de la punition de ces plus honnêtes gens-là. Je ne présume pas que le Discours de notre Orateur fasse réformer ces dénominations universellement reçues, & vraisemblablement bien fondées, par lesquelles on distingue communément les hommes de la société [109] en deux classes; l’une sans naissance, sans éducation, & qu’en conséquence on désigne par des épithetes qui marquent qu’elle a peu de sentimens, peu d’honneur & de probité; l’autre bien née & instruite de toutes les parties des Sciences & des Arts qui entrent dans la belle éducation, & que pour cette raison on regarde comme la classe des honnêtes gens. * Je n’ose parler de ces Nations heureuses -- ils ne portera point de chausses! Quand on a vu le portrait que notre Orateur fait des désordres que cause l’art de polir les nations, & d’y établir l’harmonie; on fait ce qu’on doit penser des portraits flatteurs que Montagne nous a laissés des Barbares.

D’un pinceau délicat l’artifice agréable

Du plus affreux objet, fait un objet aimable.

Boileau, art Poetiq.

Mais que tous ces raisonnemens s’évanouissent bientôt dès qu’on les approfondit. Les mots de pure nature, de simple nature, de Sauvages gouvernés uniquement par elle; le regne d’Astrée, les moeurs du siecle d’or, sont des expressions qui présentent à l’imagination les plus belles idées; c’est grand dommage qu’il n’y ait, dans tous ces tours fleuris que de l’imagination. Il n’est point dans la vraie nature que la race humaine toute brute soit meilleure que quand elle est cultivée; je l’ai déjà prouvé; je vais confirmer cette vérité par une nouvelle preuve qui auroit trop chargé la note déjà sort ample donnée sur cet article. Toute la question de la prééminence entre les anciens & les modernes étant une sois bien entendue, dit M. de Fontenelle, se réduit à savoir si les arbres qui étoient autrefois [110] dans nos campagnes, sont plus grands que ceux d’aujourd’hui. J’ose croire encore plus juste l’application de cet analogie à notre question, & qu’on peut assurer qu’elle se réduit à savoir, si les productions de la terre sans culture sont préférables à celles qu’elle fournit lorsqu’elle est bien cultivée. Qu’est-ce que la pure nature, la simple nature, je vous prie, dans les arbres, dans les plantes en général? Que sont-ils dans cet état? Des sauvageons indignes, incapable même de fournir à nos alimens, & il a fallu que le génie de l’homme inventât à l’agriculture, le jardinage pour rendre ce productions de la terre propres à servir de pâture aux hommes. Il a fallu greffer sur ces sauvageons de ces especes heureuses qui étoient sans doute les plus rares, & qu’on peut comparer à ces grands génies, à ces ames peu communes qui ont inventé les Sciences & les Arts. Il a fallu les placer en certains terrains, à certaines expositions, les élaguer, les émonder de certaines superfluités, de certaines parties nuisibles; donner à la terre qui les environne une certaine préparation, une certaine façon, dans certaines saisons. Je ne crois pas qu’il se trouvé de mortel qui ose dire que toutes ces parties de l’agriculture ne sont pas utiles, nécessaires à la production & à la perfection des fruits de la terre;*

[* Quod nisi & assiduis terram insectabere rastris,

Et sonitu terrebis aves & ruris opaci

Falce premes umbras, votisque vocaberis imbrem;

Heu, magnum alterius frustrà spectabis acervum;

Concussâque famen in sylvis solabere quercu.

Virgil. georg. l. 1. v. 155.]

[111] comment donc pourroit-il s’en trouver d’assez peu raisonnables, pour avancer que cet Art, loin d’être utile à ces fruits, tend au contraire à les rendre moins abondans & moins bons? Voilà pourtant exactement le cas de ceux qui soutiennent que les Sciences & les Arts, la culture de l’esprit & du coeur, introduisent chez nous la dépravation des moeurs.

On peut penser qu’il y a des hommes nés avec tant de lumieres, tant de talens, une si belle ame, que la culture leur devient inutile. Si vous y réfléchissez, vous conviendrez que les plus heureux naturels, ces hommes mêmes qu’on doit choisir pour greffer sur les autres, si l’on peut dire; ceux-là, dis-je, ont encore besoin de culture, ou au moins on ne sauroit nier, qu’ils ne deviennent encore plus vertueux, plus capables, plus utiles, s’ils sont cultivés par les Sciences & les Arts, comme l’arbre du meilleur acabit devient plus fertile & plus excellent encore, s’il est placé dans le terrain qui lui est plus convenable, dans l’espalier le mieux exposé, & s’il est, pour ainsi dire, traité par le jardinier le plus habile.

Fortes creantur fortibus & bonis.

.................................................

Doctrine sed vim promovet insitam,

Rectique cultus pectora roborant.

Horat. od. IV. L. IV.

Appuyons ces raisonnemens du suffrage d’un homme dont les lumieres & le jugement méritent des égards. «J’avoue,» dit Cicéron, «qu’il y a eu plusieurs hommes d’un mérite supérieur, sans science, & par la seule forcé de leur naturel [112] presque divin; j’ajouterai même, qu’un bon naturel sans la science, a plus souvent réussi que la science sans un bon naturel; mais je soutiens aussi, que quand à un excellent naturel on joint la science, la culture, il en résulte ordinairement un homme d’un mérite tout-à-fait supérieur. Tels ont été, ajoute-t-il, Scipion l’Africain, Lélius, le très-savant Caton l’ancien, &c. qui ne se seroient point avisés de développer leurs vertus par la culture des Sciences, s’ils n’avoient été bien persuadés qu’elle les conduisoit à cette fin louable.* [*Ego multos homines excellenti animo ac virtute suisse, & sine doctrinâ, naturae ipsius habitu propé divino, per se ipos & moderatos & graves extitisse fateor. Etiam illud adjungo, saepiùs ad laudem atque virtutem naturam sine doctrinà, quàm sine naturâ valuisse doctrinam. Atque idem ego contendo, cùm ad naturam eximiam atque illustrem accesserit ratio quaedam, confirmatioque doctrinae; tum illud nescio quid praeclarum ac singulare solere existere. Ex hoc esse hunc numero, quem patres nostri viderunt divinum hominem Africanum; ex hoc C. Laelium, L. Furium, moderatissimos homines & constantissimos: ex hoc fortissimum virum, & illis temporibus doctissimum M. Catonem illum senem; qui profecto, si nihil ad percipiendam, colendamque virtutem litteris adjuvarentur, nunquam se ad earum studium contulissent.

Cicero, pro Arc. poet. p. 11. ex edit, Glasg]

............................Alterius sic

Altera poscit opem, res, & conjurat amicè.

Horat. art poet. v. 409.

Ce n’est point par stupidité -- à dédaigner leur doctrine. On est tenté de croire que l’Auteur plaisante quand il donne ces anecdotes historiques pour des traits de sagesse. Celle des Romains, qui chassent les médecins est bonne à joindre au [113] Médecin malgré lui, & aux autres badinages de Moliere contre la Faculté. Si les Dieux mêmes n’appelloient pas du Tribunal integre des Athéniens; c’étoit donc dans ses accès de folie que ce peuples s’en écartoit. On n’a jamais rapporté sérieusement, pour décrier des choses regardées comme excellentes, divines, les incartades & les insultes d’un peuple plus tumultueux & plus orageux que la mer. Passeroit-on pour raisonnable, si l’on vouloir prouver qu’Alcibiade & Thémistocle les plus grands hommes de la Grece étoient des lâches & des traîtres, parce que les Athéniens les ont exilés & condamnés à mort? Qu’Aristide, surnommé le juste, le plus homme de bien que la République ait jamais eu, dit Valere Maxime, ait été un infâme, parce que cette même République l’a banni? Ces trames séditieuses, ces bourasques du peuple, dont la jalousie, l’inconstance, & l’étourderie sont les seuls mobiles, ne prouvent-elles pas plutôt le mérite supérieur & l’excellence de l’objet de leur fureur? Que t’a fait Aristide, dit ce sage lui-même à un Athénien de l’assemblée qui le condamnoit? Rien, lui répond le conjuré, je ne le connois pas même; mais je m’ennuie de l’entendre toujours appeller le juste. Voilà de ces gens raisonnables sur lesquels notre Orateur fonde ses preuves.

Oublierois-je que ce fut -- & les Artistes, les Sciences & les Savans. Le but de Lycurgue étoit moins de faire des honnêtes gens que des soldats dans un pays qui en avoir grand besoin, parce qu’il étoit peu étendu, peu peuplé. Par cette raison toutes les loix de Sparte visoient à la barbarie, à la férocité plutôt qu’à la vertu. C’est pour arriver à ce but qu’elles éteignoient dans les peres & meres les germes de la tendresse [114] naturelle, en les accoutumant à faire périr leurs propres enfans, s’ils avoient le malheur d’être nés mal-faits, foibles ou infirmes. Que de grands hommes nous aurions perdus, si nous étions aussi barbares que les Spartiates! C’est pour le même dessein qu’ils enlevoient les enfans à leurs parens, & les faisoient élever dans les écoles publiques où ils les instruisoient à être voleurs & à expirer sous les coups de fouets, sans donner le moindre signe de repentir, de crainte ou de douleur. Ne croiroit-on pas voir l’illustre Cartouche, ce Lycurgue des scélérats de Paris, donner à ses sujets des leçons d’adresse dans son art, & de patience dans les tortures qui les attendent? O Sparte! ô opprobre éternel de l’humanité! Pourquoi t’occupes-tu à transformer les hommes en tigres? Ta politique digne des Titans tes fondateurs,* [*Selon le Pere Pezron.] te donne des soldats! D’où vient donc les Athéniens tes voisins si humains, si policés t’ont-ils battu tant de fois? D’où vient as-tu recours à eux dans les incursions des Perses? D’où vient les Oracles tel forcent-ils à leur demander un Général? Insensée, tu mets tout le Corps de ta République en bras, & ne lui donnes point de tête. Tu ne saurois mettre tes chefs en parallele avec les deux Aristomenes, les Alcibiades, les Aristides, les Thémistocles, les Cimons, &c. enfans d’Athenes, enfans des Beaux-Arts, & les principaux Auteurs des plus éclatantes victoires qu’ait jamais remporté la Grece. Tu ignores donc que c’est du conducteur d’une armée que dépendent principalement ses exploits, que le Général fait le soldat, & que le hasard seul a pu rendre quelquefois heureux des Généraux barbares, contre des Nations [115] surprises & sans discipline.* [*Le Czar Pierre I est une preuve récente de cette vérité.] Mais ce héros immortel qui vous a tous effacés, qui vous a tous subjugués, & avec vous ces Perses, ces peuples de l’Orient qui vous avoient tant de fois fait trembler, ceux mêmes que vous ne connoissiez pas, & jusques aux Scythes si renommés pour leur ignorance, leur rusticité & leur bravoure; ce conquérant aussi magnanime que courageux étoit-il un barbare comme vous? étoit-il un disciple de Lycurgue; non, certes, la férocité n’est pas capable d’une si grande élévation d’ame, elle est réservée à l’éleve d’Homere & d’Aristote, au protecteur des Appelles & des Phidias; comme on voit dans notre siecle qu’elle est encore annexée aux Princes éleves des Descartes, des Newtons, des Volfs; aux Princes fondateurs & protecteurs des Académies; aux Princes amis des Savans, & savans eux-mêmes. Toute l’Europe m’entend, & je ne crains pas qu’elle désavoue ces preuves récentes, actuelles même, de l’union intime & naturelle du savoir, de la vraie valeur & de l’équité.

L’événement marqua cette différence -- qu’Athenes nous a laissés? Il sied bien à Socrate fils de sculpteur, grand sculpteur lui-même, & plus grand Philosophe encore, de dire que personne n’ignore plus les Arts que lui, de faire l’éloge de l’ignorance, de se plaindre que tous les gens à talens ne sont rien moins que sages. N’est-il pas lui-même une preuve du contraire? Prêcheroit-il si bien la vertu, auroit-il été le pere de la Philosophie, & un des plus sages d’entre les hommes, au jugement de l’Oracle même, s’il avoit été un ignorant? Socrate fait ici le personnage de nos Prédicateurs, qui trouvent [116] leur siecle le plus corrompu de tous ceux qui sont précédé, ô tempora, ô mores, & qui par zele pour les progrès de la vertu, exagerent & les vices du tems, & l’opinion modeste qu’ils ont d’eux-mêmes.

Croit-on que s’il ressuscitoit -- C’est ainsi qu’il est beau d’instruire les hommes! Nous convenons que les Beaux-Arts amollissent cette espece de courage qui dépend de la férocité, mais ils nous rendent d’autant plus vertueux, d’autant plus humains.

Mais les Sciences -- & on oublia la Patrie. Rome a tort de négliger la discipline militaire & de mépriser agriculture, notre Orateur d’attribuer ce malheur aux Sciences & aux Arts. L’ignorance & la paresse en sont des causes bien naturelles.

Caton avoir raison de se déchaîner contre des Grecs artificieux, subtils, corrupteurs des bonnes moeurs; mais les Sciences & les Arts n’ont aucune part, ni à cette corruption, ni à la colere de Caton, qui lui-même étoit très-savant, & aussi distingué par son ardeur pour les Lettres & les Sciences, que par sa vertu austere, selon le témoignage de Cicéron cité.

Aux noms sacrés de liberté -- de conquérir le monde & d’y faire régner la vertu. Le talent de Rome a été dans les commencemens d’assembler des gens sans moeurs, des scélérats, de tendre des embûches aux peuples voisins par des fêtes & des cérémonies religieuses que tous ces honnêtes gens ont toujours fait servir à leurs vues, & de perpétuer par-là l’espece & les maximes de ces brigands. Devenus plus, célebres & plus connus dans le monde, il a fallu se montrer sur ce théâtre avec des couleurs plus séduisantes, sous les apparences [117] au moins de l’honneur & de la vertu. Le peuple Romain se donna donc pour le protecteur de tous les peuples qui recherchoient son alliance, & imploroient son secours; mais le traître se fit bientôt le maître de ceux qui ne l’avoient voulu que pour ami. Voilà la vertu de Rome & de Caton. Qui dit conquérant, dit pour l’ordinaire injuste & barbare; cette maxime est sur-tout vraie pour Rome; & si cette fameuse ville a produit de grands hommes, a montré des vertus rares, elle les a dégradées en les employant a commettre les injustices & les cruautés sans nombre, par lesquelles elle a désolé & envahi l’univers.

Quand Cynéas prit notre Sénat-- de commander à Rome & de gouverner la terre. On vient de voir de quelle espece étoit cette vertu. Quant au particulier, s’il y avoit des hommes vertueux, on a vu, au rapport de Cicéron même, que cette vertu étoit due, au moins en partie, à la culture des Lettres, & des Sciences, puisqu’il donne le nom de très-savant à Caton l’ancien, & qu’il cite Scipion l’Africain, Lélius, Furius, &c. les sages de Rome, comme gens distingués dans les Sciences.

Mais franchissons la distance des lieux -- & le mépris pire cent fois que la mort. Cela est bon pour le discours. Il n’y a rien de pire que la ciguë, & il n’est que de vivre. On fait l’éloge de notre siecle, en le croyant assez humain pour ne point faire avaler ce breuvage mortel à Socrate; mais on ne lui rend pas justice en ne le croyant pas assez raisonnable pour ne point mépriser Socrate. Au moins on peut être sur que le mépris n’auroit pas été général.

[118] Voilà comment le luxe -- s’ils avoient eu le malheur de naître savans. Ils seroient nés tels qu’ils se sont rendus à forcé de travail; ils seroient nés en même tems humains, compatissans, polis & vertueux.

Que ces réflexions sont humiliantes--être mortifié! Je en vois pas ce qui doit nous humilier ou mortifier notre orgueil en pensant, selon les principes de l’Auteur, que nous sommes nés dans une heureuse & innocente ignorance, par la quelle seule nous pouvons être vertueux; qu’il ne tient qu’à nous de rester dans cet état fortuné, & que la nature même a pris des mesures pour nous y conserver. Il me semble au contraire qu’une si belle prérogative que celle d’être naturellement vertueux, qu’une si grande attention de la part de la nature à nous la conserver, doivent extrêmement flatter notre orgueil; mais si nous pensons que nous sommes nés brutes, que nous sommes nés barbares, méchans, injustes, coupables, & que nous avons besoin d’une étude & d’un travail de plusieurs années, de toute notre vie même, pour nous rendre bons, justes, humains. Oh! c’est alors que nous devons être humiliés devoir que par nous-mêmes nous sommes si pervers, & de ne pouvoir parvenir à être des hommes, que par un travail toujours pénible & souvent douteux.

Quoi! la probité -- de ces préjugés? Des conséquences très-désavantageuses à l’Auteur même & à toutes nos Académies; mais heureusement les prémices du raisonnement sont très-fausses.

Mais pour concilier ces contrariétés -- avec les inductions historiques. Ainsi l’Auteur, pour concilier des contrariétés apparentes [119] entre la science & la vertu, va prouver que la contrariété est réelle, ou que ces deux qualités sont incompatibles. Voilà une singuliere conciliation.

SECONDE PARTIE

C’étoit une ancienne -- l’inventeur des Sciences.* La Science est ennemie du repos, sans doute; c’est par-là qu’elle est amie de l’homme que le repos corrompt; c’est par-là qu’elle est la source de la vertu, puisque l’oisiveté est la mere de tous les vices.

*On voit aisément l’allégorie de la fable -- c’est le sujet du frontispice. Dans la fable dont parle l’Auteur, Jupiter jaloux des lumières & des talens de Promethée, l’attache sur le Caucase. Ce fait allégorique loin de désigner l’horreur des Grecs pour le savoir, est au contraire une preuve de l’estime infinie qu’ils faisoient des Sciences & du génie inventif, puisqu’ils égalent en quelque sorte Promethée à Jupiter, en rendant celui-ci jaloux de cet homme divin, auteur apparemment des premiers Arts, de l’ébauche des Sciences, l’effet du génie, de ce feu qu’il semble que l’homme ait dérobé aux Dieux. Les Romains mêmes, ces enfans de Mars, n’ont pu s’empêcher de rendre aux Beaux-Arts les hommages qui leur sont dûs, & le prince de leurs Poetes défere aux hommes qui s’y sont distingués, les premiers honneurs dans les champs Elisées,

[120] Quique pii vates & Phabo digna locuti,

Inventas aut qui vitam excoluere per artes,

Omnibus his niveâ cinguntur tempora vittâ.

Virgil. AEneid. L. VI. v. 661.

A l’égard du frontispice, je ne vois pas la finesse de cette allégorie. Il est tout simple que le feu brûle la barbe. L’Auteur veut-il dire qu’il ne faut pas plus se fier à l’homme qu’au feu? mais il le représente nud & sortant des mains de Promethée, de la nature; & c’est, selon lui, le seul état dans lequel on puisse s’y fier. Veut-il dire qu’on ne connoît pas toute la finesse de sa these, de son Discours, qu’il faut le respecter comme le feu? Ne pourroit-on pas par une allégorie beaucoup plus naturelle, faire dire à l’homme céleste qui approche une torche allumée de la tête de l’homme statue: satyre, tu l’admires, tu en es épris, parce que tu ne le connois pas; apprends imbécille, que l’objet de tes transports n’est qu’une vaine idole que ce flambeau va réduire en cendres.

Quelle opinion falloit-il -- qu’on aime à s’en former. J’aurois conseillé à l’Orateur de substituer un autre mot à celui de feuillette.

L’Astronomie est née de la superstition. L’Astronome est fille de l’oisiveté & du desir de connoître ce qui est dans l’univers le plus digne de notre curiosité. Cette simple curiosité déjà bien noble par elle-même, & capable de préserver l’homme de tous les vices attachés à l’oisiveté, a encore produit dans la société mille avantages que nos calendriers, nos cartes géographiques, & l’art de naviguer attestent à quiconque ne [121] veut pas fermer les yeux. Voyez sur l’utilité de toutes les Sciences la célebre préface que M. de Fontenelle a mis à la tête de l’histoire de l’Académie.

L’éloquence -- du mensonge. Est-ce à soutenir tous ces vices que Démosthene & Cicéron ont employé leur éloquence? Est-ce à ce détestable usage que nos Orateurs, nos Prédicateurs l’emploient? Il en est qui en abusent, j’en croirai l’Auteur du Discours sur sa parole; mais combien plus s’en trouvent-ils qui la sont servir à éclairer l’esprit & à diriger les mouvemens du coeur à la vertu? Au moins, c’est ainsi qu’en pensoit l’Orateur Romain. Il s’y connoissoit un peu. Ecoutons-le un moment sur cette matiere. Il a examiné à fond la question qui est agitée dans ce Discours, par rapport à l’éloquence. Il a aussi reconnu qu’on en pouvoit faire un très-mauvais usage; mais, tout bien pesé, il conclut que, de quelque côté qu’on considere le principe de l’éloquence, on trouvera qu’elle doit son origine aux motifs les plus honnêtes, aux raisonnemens les plus rages.»* [*Saepè & multum hoc mihi cogitavi, boni ne an mali plus attulerit hominibus & civitatibus copia dicendi, ac summum eloquentiae studium.... si voluntas hujus rei, quqe vocatur eloquentia, seve artis, sive studii, sive exercitationis cujusdam, sive factultatis à naturâ profectae considerare principium; reperiemus id ex honestissimus causis natum, atque optimis rationibus profectum. De inventione l. 1. p. 5. 6. ex edit. Glasg.] «Quant à ses effets; quoi de plus noble, dit-il, de plus généreux, de plus grand que de secourir l’innocent, que de relever l’opprimé; que d’être le salut, le libérateur des honnêtes gens, de leur sauver l’exil? Quel autre pouvoir que l’éloquence a été capable de rassembler les hommes jadis dispersés dans les [122] forêts, & les ramener de leur genre de vie féroce & sauvage à ces moeurs humaines & policées qu’ils ont aujourd’hui? Car il a été un tems où les hommes étoient comme dispersés & vagabonds dans les champs, & y vivoient comme les bêtes féroces. Alors ce n’étoit point la raison qui régloit leur conduite, mais presque toujours la forcé la violence. Il n’étoit point question de religion, ni de devoirs envers les autres hommes; on n’y connoissoit point l’utilité de la justice, de l’équité. Ainsi, par l’erreur & l’ignorance, les passions aveugles & téméraires étoient seules dominantes, & abusoient, pour s’assouvir, des forces du corps, dangereux ministres de leurs violences. Enfin, il s’éleva des hommes sages, grands, dont l’éloquence gagna ces hommes sauvages, & de féroces & cruels qu’ils étoient, les rendit doux & vraiment humains.»* [*Quid tam porro regium, tam liberale, tam munificum, quàm opem ferre supplicibus, excitare affictos, dare salutem, liberare periculis, retinere homines in civitate? Quae vis alia potuit aut dispersos homines unum in locum congregare, aut à ferâ agrestique vitâ ad hunc humanum cultum, civilemque deducere? Cicero de Oratore p. 14. Nam fuit quoddam tempus, cum in agris homines passim bestiarum more vagabantur, & sibi victu ferino vitam propagabant; nec ratione animi quidquam, sed pleraque viribus corporis adminstrabant. Nondum divinae religionis, non humani officii ratio colebatur....Non jus aequabile quod utilitatis haberet, acceperat. Ità propter errorem & inscitiam caeca ac temeraria dominatrix animi cupiditaes, ad se explendum viribus corporis abutebatur, perniciosissimus satellitibus..... Deinde propter rationem atque orationem studiosiùs audientes, ex feris & immanibus mites reddidit & mansuetos (vir quidam magnus & sapiens.) Cicero de Inventione ibid. p. 6. 7. Edition de Glasgow.] Voilà un origine & une fin de l’éloquence bien différente de celle que leur donne notre Orateur François.

[123] La Géométrie, de l’avarice. Fixer les bornes de son champ, le distinguer d’avec celui du voisin; faire, en un mot, une distribution exacte de la terre à ceux à qui elle appartient; voilà les fonctions & l’origine de la Géométrie ordinaire & pratique, & il n’y a là rien que de très-juste, & que nos Tribunaux n’ordonnent tous les jours pour remédier à l’avarice & à l’usurpation. C’est donc de l’équité & de la droiture qu’est née la Géométrie.

La Physique, d’une vaine curiosité; la Physique est née de la curiosité, soit; mais que cette curiosité soit vaine, c’est ce que je ne crois pas que l’Auteur pense. La société est redevable à cette science de l’invention & de la perfection de presque tous les Arts qui fournissent à ses besoins & à les commodités, &, ce qui ne doit pas être oublié, en étalant aux yeux des hommes les merveilles de la nature, elle éleve leur ame jusqu’à son Auteur.

Toutes, & la morale même, de l’orgueil humain. Etoit-ce donc par orgueil que les sages de la Grece, les Catons, & ce que j’aurois dû nommer avant tous, les divins missionnaires de la morale chrétienne, prêchoient la vertu?

Les Sciences & les Arts--devoient à nos vertus. Comme il n’y a point de doute sur l’origine des Sciences & des Arts, dont la plupart sont des actes ou de vertu, ou tendans à la vertu, leurs avantages sont aussi évidens.

Le défaut de leur origine -- sans le luxe qui les nourrit? Le luxe est un abus des Arts, comme un discours fait pour persuader le faux, est un abus de l’éloquence, comme l’ivrognerie [124] est un abus du vin. Ces défauts ne sont pas dans la chose, mais dans ceux qui s’en servent mal.

Sans les injustices des hommes, à quoi serviroit la Jurisprudence? C’est-à-dire, si les hommes étoient nés justes, les loix auroient été inutiles; s’ils étoient nés vertueux, on n’auroit pas eu besoin des regles de la morale. L’Auteur convient donc que toutes ces Sciences ont été imaginées pour corriger l’homme né pervers, pour le rendre meilleur.

Que deviendroit l’Histoire -- ni conspirateurs? Elle en seroit bien plus belle & bien plus honorable à l’humanité; elle seroit remplie de la sagesse des rois, & des vertus des sujets; des grandes & belles actions des uns & des autres, & ne contenant que des faits dignes d’être admirés, & imités, des lecteurs, jamais de crimes, jamais d’horreurs, elle ne pourroit jamais que plaire & conduire à la vertu, véritable but de l’histoire.

Qui voudroit en un mot -- pour les malheureux & pour ses amis? Il n’est aucune science de contemplation stérile; toutes ont leur utilité, soit par rapport à celui qui les cultive, soit à l’égard de la société.

Sommes-nous donc faits-par l’étude de la Philosophie. Il ne faut point rester sur le bord du puits où s’est retirée la vérité, il faut y descendre & l’en tirer, comme ont fait tant de grands hommes; ce qu’ils ont fait, un autre le peut faire. Cette réflexion doit encourager quiconque en a sérieusement envie.

Que de dangers!-l’investigation des Sciences? Investigation. Je ne saurois passer à un Orateur aussi châtié & aussi [125] poli que le nôtre un terme latin de Clénard francisé. Investigatio thematis.

Par combien d’erreurs, -- qui de nous en saura faire un bon usage. Si tant de difficultés & d’erreurs environnent ceux qui cherchent la vérité avec les secours que leur prêtent les Sciences & les Arts, que deviendront ceux qui ne la cherchent point du tout? L’Auteur nous persuadera-t-il qu’elle va chercher qui la suit, & qu’elle suit qui la cherche? C’est tout ce qu’on pourroit croire de l’aveugle fortune. A l’égard du bon usage de la vérité, il n’est pas, ce me semble, beaucoup plus embarrassant que le bon usage de la vertu; mais une chose qui me paroît plus embarrassante, c’est le moyen de faire un bon usage de l’erreur & du vice où nous sommes plongés sans les lumieres des Sciences & les instructions de la morale.

Si nos Sciences sont vaines -- comme un homme pernicieux. Quoi de plus laborieux qu’un savant? La premiere utilité des Sciences est donc d’éviter l’oisiveté, l’ennui & les vices qui en sont inséparables. N’eussent-elles que cet usage, elles deviennent nécessaires, puisqu’elles sont la source des vertus & du bonheur de celui qui les exerce. «Quand les Sciences ne seroient pas aussi utiles qu’elles le sont, dit Cicéron, & qu’on ne s’y appliqueroit que pour son plaisir; vous penserez, je crois, qu’il n’y a point de délassement plus noble & plus digne de l’homme; car les autres plaisirs ne sont pas de tous les tems, de tous les âges, de tous les lieux; celui de l’étude fait l’aliment de la jeunesse, la joie des vieillards, l’ornement de ceux qui sont dans la prospérité, [126] la ressource & la consolation de ceux qui sont dans l’adversité; il fait nos délices à la maison, ne nous embarrasse point quand nous sommes dehors, passe la nuit avec nous, & ne nous quitte point en voyage, à campagne.»* [*Quod si non hic tantus fructus ostenderetur, & si ex studiis delectatio sola peteretur: tamen, ut opinor, hanc animi remissionem humanissiman & liberalissiman judicaretis; nam caeterae neque temporum sunt, neque temporum sunt, neque aetatum omnium, neque locorum. Haec studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant, secundas res ornant, adversis perfugium ac solatium praebent, delectant domi, non impediunt foris, pernoctant nobiscum, peregrinantur, rusticantur. Cicero, pro Arc. Poet. p. 12]

Voilà la premiere & pourtant la moindre utilité des Sciences; point d’oisiveté, point d’ennui, un plaisir doux & tranquille, mais perpétuel; je dis que c’est-là leur moindre utilité car celle-ci ne regarde que celui qui s’y applique, & nous avons fait voir que les Sciences sont l’ame de tous les Arts utiles à la société, & qu’ainsi le savant le plus contemplatif en apparence est occupé du bien public.

Répondez-moi donc, -- moins florissans ou plus pervers? Oui, sans doute. L’astronomie cultivée par les Géometre rend la géographie & la navigation plus sures; on tire des insectes des secrets pour les arts, pour nos besoins. L’anatomie des animaux nous conduit à une plus parfaite connoissance du corps humain, & par conséquent à des principe plus sûrs pour le guérir ou pour le conserver en santé. La science de la physique & de la morale fait que nous sommes mieux gouvernés & moins pervers, & l’harmonie d’un gouvernement [127] où brillent toutes ces Sciences, tous ces Arts, est ce qui le rend florissant & redoutable.

Revenez donc sur l’importance -- la substance de l’Etat. Il est naturel que nous en pensions encore moins mal que de ceux qui occupent leur loisir à décrier des lumieres & des talens auxquels la France a peut-être encore plus d’obligation qu’à ses armes.

Que dis-je, oisifs? -- O fureur de se distinguer! que ne pouvez-vous point? L’Auteur s’attache encore ici à l’abus que des sujets pervers sont d’une excellente chose. Mais s’il y a quelques-uns de ces malheureux, quelle foule d’ouvrages divins n’a-t-on pas à leur opposer, par lesquels on a renversé les idoles des Payens, démontré le vrai Dieu, & la pureté de la morale chrétienne, anéanti les sophismes des génies dépravés dont parle l’Orateur? Peut-on citer sérieusement, contre l’utilité des Sciences, les extravagances de quelques écervelés qui en abusent? Et faudra-t-il renoncer à bâtir des maisons, parce qu’il y a des gens assez sous pour se jetter par les fenêtres?

C’est un grand mal -- jamais ils ne vont sans lui. Le luxe & la Science ne vont point du tout ensemble. C’est toujours la partie ignorante d’un Etat qui affecte le luxe; celui-ci est l’enfant des richesses, & son correctif est le savoir, la Philosophie, qui montre le néant de ces bagatelles.

Je sais que notre Philosophie, -- les nôtres ne parlent que de commerce & d’argent. Le luxe est un abus des richesses que corrigent les Sciences & la raison; mais il ne faut pas confondre cet abus, comme le fait l’Auteur, avec le commerce, [128] partie des Arts la plus propre à rendre un Etat puissant & florissant, & qui n’entraîne pas nécessairement luxe après elle, comme le croit l’Auteur; nous en avons la preuve dans nos illustres voisins. L’Angleterre & la Hollande ont un commerce beaucoup plus étendu & plus riche que le nôtre; portent-ils le luxe aussi loin que nous? Pour-quoi? C’est que le commerce, loin de favoriser le luxe comme le croit notre Orateur, le réprime au contraire. Quiconque est livré à l’art de s’enrichir & d’agrandir sa fortune, se garde bien de la perdre en folles dépenses. D’ailleurs cette passion de s’enrichir par le commerce n’est pas incompatible avec la vertu. Quelle probité, quelle fidélité admirables regnent parmi les négocians qui, sans s’être jamais vus, & qui étant situés quelquefois aux extrémité de l’univers, se gardent une foi inviolable dans leurs engagemens! Comparez cette conduite avec les ruses, les fourberies, les scélératesses des Sauvages, entre les mains desquels ils tombent quelquefois dans leurs voyages.

L’un vous dira qu’un homme -- fit trembler l’Asie. On convient avec l’Auteur que les richesse, dont l’usage est perverti par le luxe & la mollesse, corrompent le courage. Mais tous ces défauts n’ont aucun rapport aux Sciences & aux Arts; ils n’en sont pas les suites, ainsi que nous l’avons montré ci-devant. Alexandre qui subjugua tout l’Orient avec trente mille hommes, étoit le Prince le plus savant & le mieux dans les Beaux-Arts de tout son siecle, & c’est avec ce savoir supérieur qu’il a vaincu ces Scythes si vantés, qui avoient résisté tant de fois aux incursions des Perses, lors même que [129] leurs armées étoient aussi nombreuses que féroces, lors même qu’elles étoient commandées par ce Cyrus le héros de cette Monarchie.

L’Empire Romain -- hormis des moeurs & des citoyens. L’Auteur confond par-tout la barbarie, la férocité avec la valeur & la vertu; c’étoit apparemment de bien honnêtes gens que ces Goths, ces Vandales, ces Normands, &c. qui ont désolé toute l’Europe qui ne leur disoit mot? On voudroit nous faire entendre ici que c’est par leurs bonnes moeurs & par leurs vertus que ces peuples ont vaincu les peuples policés; mais toutes les histoires attestent que c’étoient des brigands, des scélérats, qui se faisoient un jeu, une gloire du crime, pour lesquels il n’y avoir rien de sacré, & qui ont profité des divisions, des révoltes élevées au centre de ces Royaumes polis, dont le moindre réuni & prévenu auroit écrasé ces misérables.

De quoi s’agit-il donc -- avec celui de l’honnête. Est-ce qu’il n’est pas possible d’être honnête homme sous un habit galonné? Et faudra-t-il en porter un de toile pour obtenir cette qualité? N’ayez donc peur dans nos forêts, que quand vous y rencontrerez un homme bien doré, bien monté, muni d’armes brillantes, & suivi d’un domestique en aussi bon équipage, tremblez alors pour votre vie; vous voir au pouvoir d’un homme de l’espece la plus corrompue, abandonné au luxe, aux vices de toutes les especes; mais quand vous y trouverez seul à seul un rustre vêtu de bure, chargé d’un mauvais fusil, & sortant des broussailles où il sembloit cacher sa misere; alors ne craignez rien; cette pauvreté évidente vous est un signe assuré que vous rencontrez la vertu même.

[130] Non, il n’est pas possible -- le courage leur manqueroit. Sont-ce les Savans qui s’occupent de soins futiles? Sont-ce les gens occupés aux Arts? Non certes, ce sont les riches ignorans. Cet argument prouve donc contre son Auteur.

Tout artiste veut être applaudi -- entraîne à son tour la corruption du goût. Je connois une infinité de gens qui font passionnés pour les desseins baroques, pour la difficultueuse musique Italienne qui est du même genre; pour les ouvrages connus sous le nom de gentillesses, & qui sont néanmoins les plus honnêtes gens du monde. Leurs moeurs ne se ressentent point du tout de leur mauvais goût; il me semble même que je ne vois aucune liaison entre le goût & les moeurs, parce que les objets en sont tout différens.

Le goût se corrompt, parce que n’y ayant qu’une bonne façon de penser & d’écrire, de peindre, de chanter, &c. & le siecle précédent l’ayant, pour ainsi dire, épuisée, on ne veut ni le copier, ni l’imiter; & par la fureur de se distinguer, on s’écarte de la belle nature, on tombe dans le ridicule & dans le baroque.

L’esprit qu’on veut avoir gâte celui qu’on a.

Du coeur, de la nature, on perd l’heureux langage,

Pour l’absurde talent d’un triste persifflage.

GRESSET.

Dans un genre plus sérieux, les génies transcendans du siecle passé ayant enfanté, & exécuté le sublime, le hardi projet de ruiner les folles imaginations des Péripatéticiens, leurs facultés, leurs vertus occultes de toutes les especes; on a passé un [131] demi siecle à établir la connoissance des effets physiques sur propriétés connues & évidentes de la matiere, sur leurs causes méchaniques; comment se distinguer par du nouveau après l’établissement de principes aussi solides, aussi universels? Ils faut dire qu’ils sont trop simples & absolument insuffisans; que ces grands hommes étoient de bonnes gens, un peu timbrés, & aussi méchaniques que leurs principes; & que notre siecle spirituel voit, ou au moins soupçonne dans la matiere des propriétés nouvelles qu’il faut toujours poser pour base de la Physique, en attendant qu’on les conçoive: propriétés qui ne dépendent ni de l’étendue, ni de l’impénétrabilité, ni de la figure, ni du mouvement, ni d’aucune autre vieille modification de la matiere; propriétés, non pas occultes, mais cachées, qui élevent cette matiere à quelque chose d’un peu au-dessus de la matiere, qu’on n’ose dire tout haut, & qui, dans le vrai, abaissent le Physicien beaucoup au-dessous de cette qualité. Enfin, nos aïeux étoient gothiques, nos peres amis de la nature, nous sommes singuliers & baroques; nous n’avions que ce parti à prendre pour ne ressembler à aucun des deux.

Mais la morale n’a aucune part à ce désordre; on se fait un plaisir & un honneur de copier, d’imiter les vertus des grands hommes de tous les siecles; plus il s’en sera écoulé, plus nous en aurons d’exemples, & tant que l’art de les inculquer, c’est-à-dire, tant que les Sciences & les Beaux-Arts seront en vigueur, les siecles les plus reculés seront toujours les plus vertueux.

* Je suis bien éloigné de penser -- & e défendre une si grande cause. L’Auteur se contredit étrangement. Il veut qu’on [132] donne de l’éducation aux femmes; il veut qu’on les fasse sortir de l’ignorance. Il a raison, sans doute; mais c’est contre ses principes, selon lesquels, instruire quelqu’un, & le rendre plus méchant, sont des expressions synonymes.

Que si par hasard -- ou il faudra qu’elle demeure oisive. Les ouvrages admirables des Le Moine, des Bouchardons, des Adams, des Slodtz pour perpétuer la mémoire des plus grands hommes, pour décorer les places publiques, les palais & les jardins qui les accompagnent, sont des monumens qui nous rassurent contre les vaines déclamations de notre Orateur.

On ne peut réfléchir -- enfin pour s’y établir eux-mêmes. C’est un joli conte de Fée que ce siecle d’or, & ce mélange des dieux & des hommes, mais il n’y a plus gueres que les enfans & les Rhéteurs plus fleuris que solides qui s’en amusent.

Ou du moins les temples des Dieux -- des chapiteaux Corinthiens. Les anciens n’avoient garde de penser que la culture des Sciences & des Arts, dépravât les moeurs; que le talent de bâtir des villes, d’élever des temples & des palais, mît le comble aux vices; quand ils nous ont représenté Amphion construisant les murs de Thebes par les seuls accords de sa lyre; quand ils nous parlent avec tant de vénération des peuples qui élevent des temples aux immortels, & des palais à la majesté des Souverains légitimes.

Tandis que les commodités -- dans l’ombre du cabinet. Que les Sciences & les Arts énervent le courage féroce, nous en convenons avec l’Auteur, & c’est autant de gagné pour l’humanité & la vertu. Mais que la vraie valeur s’éteigne par les lumieres des Sciences & la culture des Arts, c’est ce qu’on a réfuté amplement.

[133] Quand les Goths -- qu’à les affermir & les animer. C’est-à-dire, à les rendre moins féroces, à la bonne heure, mais en même tems plus humains & plus vertueux.

Les Romains ont avoué -- il y a quelques siecles. L’Auteur remet ici sur le tapis, précisément les mêmes preuves rapportées à la premiere partie. Nous renvoyons donc le lecteur à la réfutation que nous y avons placée. Nous y ajouterons seulement que les Génois ont bien fait voir dans la derniere guerre que la valeur n’étoit pas si éteinte en Italie que se l’imagine l’Orateur, & qu’il ne faut à ces peuples que des occasions & de grands Capitaines pour faire voir à toute l’Europe qu’ils sont toujours capables des plus brandes choses?

Les anciennes Républiques -- la vigueur de l’ame. C’est-à-dire, la férocité.

De quel oeil, -- la forcé de voyager à cheval? Et quel rapport cette vigueur du corps a-t-elle avec la vertu? Ne peut-on pas être foible, délicat, peu propre à la fatigue, à la guerre, & vertueux tout ensemble?

Qu’on ne m’objecte point -- la meilleure de nos armées. Tout ce que dit là notre Auteur, est très-vrai, à un peu d’exagération près qui est une licence de l’éloquence comme de la poésie. Il est certain qu’on néglige trop l’exercice du corps en France, & qu’on y aime trop ses aises. On n’y voit plus de courses de chevaux, on n’y donne plus de prix aux plus adroits à différens exercices, on y détruit tous les jeux de paume; & c’est-là l’époque des vapeurs qui ont gagné les hommes, & les ont mis de niveau avec les femmes, parce qu’ils ont commencé par s’y mettre par la nature de leurs occupations. Oh! [134] que notre Orateur frappe sur cet endroit-là de notre façon de vivre, je l’appuyerai de mon suffrage; mais qu’il prétende en conclure que ces hommes, pour être aussi foibles, aussi vaporeux que des femmes, en sont plus dépravés, plus vicieux; c’est ce que je ne lui accorderai pas; & fussent-ils femmes tout-à-fait, pourvu que ce soit de la bonne espece, qui est la plus commune, sans doute; je n’en aurois que meilleure, opinion de leur vertu. Qui ne fait pas que ce sexe est le dévot & le vertueux par excellence?

Guerriers intrépides -- que l’autre eût vaincu vos aïeux. Par malheur pour notre Orateur cette exagération vient un peu trop près de notre derniere guerre d’Italie, où tout le monde fait que nos troupes, sous M. le Prince de Conti, ont traversé les Alpes, après avoir forcé sur la cime de ces montagnes un ennemi puissant commandé par l’un des plus braves Rois du monde; & il est plus que vraisemblable que les Alpes, du tems d’Annibal, n’étoient pas plus escarpées, qu’elles sont aujourd’hui.

Les combats ne sont pas toujours -- par le fer de l’ennemi. Oh! l’Auteur a raison; nous ne sommes pas assez robuste. Qu’on renouvelle les jeux Olympiques de toutes les especes qu’on renouvelle les courses de chevaux, les courtes à pied, les combats d’une lutte un peu plus humaine que l’ancienne les jeux de paume, les jeux de l’arc, de l’arbalête, de l’arquebuse, du fusil; qu’on les protege, qu’on les ordonne, qu’on y attache des privileges, des récompenses. Qu’on ajoute cela des loix pour la sobriété; nous aurons des citoyens, des soldats aussi robustes que courageux; & si l’on continue, avec [135] ces réformes, la culture des Sciences & des Arts, toutes choses fort compatibles, nous aurons des officiers capables de commander à de bons soldats; deux parties essentielles à une bonne armée.

Si la culture des Sciences -- au moins le corps en seroit plus dispos. Fort bien. J’applaudis à la censure de l’Orateur contre la plupart des éducations mal dirigées. Mais gardons-nous de regarder un abus particulier, comme une dépravation générale & annexée aux Sciences. La culture des Sciences est nuisible aux qualités morales? Quelle absurdité! J’ai démontré dans plusieurs notes ci-devant placées, que la perfection des moeurs étoit le principal effet de cette culture des Sciences; malheur aux directeurs de l’éducation de la jeunesse qui perdent de vue cet objet; je crois que ce désordre est très-rare: mais fût-il encore plus commun, ce n’est pas la faute des Sciences, mais celle des personnes destinées à les montrer. Les langues mêmes, la partie la moins utile de l’éducation, ne doivent jamais nous écarter de ce but. Les mots étrangers qu’on apprend, expriment sans doute des choses; ces choses doivent être des Sciences solides, & avant tout, celle de la morale; c’est ce qu’on a grand soin de faire dans tous les colleges, dans toutes les pensions, & ce qu’on a fait dans tous les siecles policés......

Adjecere bonae paulo plus artis Athenae,

Scilicet ut possem curvo dignoscere rectum,

Atque inter sylvas Academi quaerere verum.

Horat. Epit. 2. L. I

[136] Je sais qu’il faut occuper -- & non ce qu’ils doivent oublier. L’Auteur a raison, & c’est ce que sont aussi les maîtres, & sur-tout les peres & les meres qui ont à coeur, comme ils le doivent, l’éducation de leurs enfans, Mais si notre siecle n’est pas encore aussi parfait qu’il pourroit être; s’il est encore parmi nous des causes de la corruption des moeurs, de la foiblesse du corps, de la mollesse; certes c’est la passion qui y regne pour les jeux sédentaires; passion, que nous tenons principalement de la fréquentation des femmes frivoles qui sont heureusement le plus petit nombre, & qui naît de notre complaisance pour ce sexe enchanteur; passion, qui est fille de l’oisiveté & de l’avarice, & assez amie de toutes les autres, qui remplit la tête de trente mots baroques, & vides de sens, & pour l’ordinaire aux dépens de la Science, de l’Histoire, de la Morale & de la Nature, qu’on se fait là un honneur d’ignorer. Des esprits si mal nourris n’ont rien à se dire, que, baste, ponte, manille, comete, &c. Les conversations en cercle si en usage, si estimées chez nos peres & si propres à faire paroître les talens, les bonnes moeurs, & à les former chez les jeunes personnes, sont dans ces jolies assemblées, ou muettes, ou employées à faire des réflexions sur tous les colifichets qui décorent ces Dames, sur toutes les babioles rares que possédent ces Messieurs, à conter de jolies aventures, ou inventées, ou au moins bien brodées sur le compte des son prochain.

Là vous trouvez toujours des gens divertissans

Des femmes qui jamais n’ont pu fermer la bouche,

[137] Et qui sur le prochain vous tirent à cartouche,

Des oisifs de métier, & qui toujours chez eux

Portent de tout Paris le lardon scandaleux.

Le Joueur de Regnard.

On sacrifie à ce plaisir perfide les spectacles les mieux ordonnés, les plus châtiés, & les plus propres à inspirer des moeurs &du goût; on y sacrifie même quelquefois ses devoirs & sa fortune. Et quelle est l’origine de ce reste de poison que les loix trop peu séveres souffrent encore dans la société? Les exercices du corps trop négligés, les Sciences & les Arts trop peu cultivés encore.

*Telle étoit l’éducation des Spartiates, -- à le rendre bon, aucun à le rendre savant. L’Auteur ne met donc pas au nombre des Sciences celle de la religion & de la morale; car voilà ce qu’on enseignoit aux enfans des rois de Perse, & qu’on ne néglige pas d’apprendre en France aux derniers des paysans mêmes.

Astyage, en Xénophon, demande à Cyrus -- qu’il me persuadât que son école vaut celle-là. Le bon Montagne radotoit, quand il nous donnoit cette histoire comme une grande merveille. On donne tous les jours le fouet dans nos écoles aux jeunes gens qui se sont entr’eux de plus petites injustices que celles-là, & l’on n’en fait pas tant de bruit, l’on ne s’avise pas d’en faire une histoire mémorable, & digne de trouver place dans un livré aussi relevé que celui de Xénophon.

Nos jardins sont ornés -- avant même que de savoir lire. [138] Tout ceci est encore exagéré. Les grands hommes de la Grece & de Rome, leurs actions vertueuses, telles que la piété d’Enée, la chasteté de Lucrece, sont partie des ornemens de nos jardins & de nos galeries, aussi bien que les métamorphoses d’Ovide; dans celles-ci mêmes, combien d’allégories de la meilleure morale, & ce sont pour l’ordinaire ces sujets qu’on choisit pour exposer en public.

D’ailleurs ces décorations des jardins & des galeries ne sont pas faites pour les enfans. Leurs galeries ordinaires sont les figures de la bible, & il y a là une abondante collection d’exemples de vertus.

D’où naissant tous ces abus, -- d’un livré s’il est utile, mais s’il est bien écrit. Ce texte est une pure déclamation. On ne fait point de cas d’un homme de talent qui n’est pas honnête homme, ni d’un livré bien écrit, si l’objet en est frivole. On n’estimeroit point, par exemple, ce Discours, quelque séduisant qu’il soit, si l’on ne sentoit que le véritable but de l’Auteur est, non pas d’anéantir la culture Sciences & des Arts, mais d’obtenir de ceux qui s’y appliquent, de ne point en abuser, & d’être encore plus vertueux que savans.

Les récompenses -- aucun pour les belles actions. La proposition n’est pas exactement vraie. Il y a en France beaucoup de récompenses, beaucoup de croix de Chevaliers, de pensions, de titres de noblesse, &c. pour les belles actions; malgré cela je trouvé, comme l’Auteur, qu’il n’y en a pas encore assez, & qu’il devroit y avoir réellement des prix de morale pratique, comme il y a des prix de physique, d’éloquence, [139] &c. Pourquoi ne pas faire marcher toutes ces Sciences ensemble, comme elles y vont naturellement, & comme on le pratique dans les petites écoles, dans l’éducation donnée chez les parens. On dira à l’honneur de ce siecle, que la vertu est plus commune que les talens; que tout le monde a de la probité, & ne fait en cela que ce qu’il doit. Ce que je fais, c’est que tout le monde s’en pique.

Qu’on me dise, -- le renouvellement des Sciences, & des Arts. L’Auteur manque encore ici d’exactitude. Nous convenons qu’on caresse un peu trop en France les talens agréables; qu’une jolie voix de le Opéra, par exemple, y sera souvent plus fêtée qu’un Physicien de l’Académie. J’avoue qu’on y a trop d’égards pour une autre espece d’hommes agréables, beaucoup moins utiles encore, pour ne pas dire, tout-à-fait inutiles, nuisibles même à la société. Je veux parler de cette partie du beau monde, oisive, inappliquée, ignorante, dont le mérite consiste dans la science de la bonne grace, des airs, des manieres & des façons; qui se croiroit déshonorée d’approfondir quelque science utile, sérieuse, qui fait consister l’esprit à voltiger sur les matieres, dont elle ne prend que la fleur; qui met toute son étude a jouer le rôle d’homme aimable, vif, léger, enjoué, amusant, les délices de la société, un beau parleur, un railleur agréable, &c.* [*Le François à Londres.] & jamais celui d’homme occupé du bien public, de bon citoyen, d’ami essentiel. Si l’on ne regardoit le François que de ce mauvais côté, comme ont la bonté de le faire quelquefois nos voisins, on pourroit dire avec M. Gresset.....

[140] Que nos arts, nos plaisirs, nos esprits sont pitié,Qu’il ne nous reste plus que des superficies,

Des pointes, du jargon, de tristes facéties,

Et qu’à forcé d’esprit & de petits talens, Dans peu nous pourrions bien n’avoir plus de bon sens.

Le Méchant, Comédie de M. Gresset.

Mais il faut avouer que ces hommes futiles, & qui ne sont tels que parce qu’ils négligent la culture des Sciences, sont beaucoup plus rares en France, que ne le croyent les nations rivales de la nôtre; & qu’en général ils y sont peu estimés....

Sans ami, sans repos, suspect & dangereux

L’homme frivole & vague est déjà malheureux.

Dit le même M. Gresset. Enfin toute l’Europe rend cette justice à la France, qu’on y voit tous les jours honorer par des récompenses éclatantes les talens utiles, nécessaires. La remarque précédente le prouve déjà; mais quoi de plus propre à convaincre là-dessus les incrédules, que ces bienfaits du Roi répandus sur les membres les plus laborieux de l’Académie des Sciences de Paris, ces écoles publiques, ces démonstrations d’anatomie & de chirurgie fondées dans les principales villes de France? Ces titres de noblesse donnés à des personnes distinguées dans l’art de guérir? Est-il quelque pays dans l’univers dont le Souverain marque plus d’attention à récompenses & encourager les hommes utiles & vertueux?

Nous avons des physiciens -- nous n’avons plus de citoyens; il y a là un peu de mauvaise humeur. Peut-il y avoir de meilleurs citoyens que des hommes qui passent leur vie, & altérent [141] même quelquefois leur santé à des recherches utile à la société, tels que sont les physiciens, les géometres, les astronomes? Les poetes & les peintres rappellent aux hommes la mémoire de la vertu & de ses héros, & exposent les préceptes de la morale, ceux des Arts & des Sciences utiles d’une façon plus propre à les faire goûter....

Bientôt ressuscitant les héros des vieux âges,

Homere aux grands exploits anima les courages.

Hésiode à son tour, par d’utiles leçons,

Des champs trop paresseux vint hâter les moissons.

En mille écrits fameux la sagesse tracée,

Fut, à l’aide des vers, aux mortels annoncée;

Et par-tout des esprits ses préceptes vainqueurs,

Introduits par l’oreille entrerent dans les coeurs.

Boil.

Le musicien nous délasse de nos travaux, pour que nous y retournions avec plus d’ardeur, & souvent il célébre ou les grandeurs de l’Etre suprême, ou les belles actions des grands hommes; au moins voilà son véritable objet. Tous ces Arts concourent donc au bien public & à nous rendre plus vertueux & meilleurs.

Ou s’il nous en reste encore, -- qui donnent du lait à nos enfans. Il est sans doute un grand nombre d’honnêtes gens à la campagne: mais il est pourtant vrai de dire que c’est-là où l’on trouvé en plus grand nombre le faux-témoin, le rusé chicaneur, le fourbe, le voleur, le meurtrier. Nos prisons en contiennent des preuves sans replique.

[142] Je l’avoue, cependant -- & du dépôt sacré des moeurs. La politique de ces Souverains seroit bien mauvaise, si la these de notre Auteur étoit bonne, d’aller choisir des savans pour former une société destinée à remédier aux déréglemens des moeurs causés par les Sciences. C’étoit des ignorans, des rustres, des paysans, qu’il falloit composer ces Académies.

Par l’attention -- qu’elles reçoivent. Les Académies ont cela de commun avec tous les Corps d’un Etat policé, & elles ont certainement peu besoin de ces précautions; tant les Sciences ces & les bonnes moeurs ont coutume d’aller de compagnie.

Ami du bien, de l’ordre & de l’humanité,

Le véritable esprit marche avec la bonté.

M. Gresset, ibid.

Ces sages instructions -- mais aussi des instructions salutaires. Les gens de Lettres & les Académies doivent bien des remerciemens à l’Auteur, de la bonne opinion qu’il a des unes, & des avis qu’il donne aux autres. Mais il me semble que raisonnoit conséquemment à ses principes, le véritable frein des gens de Lettres, des gens appliqués à des arts qui dépravent les moeurs, ne doit pas être l’espoir d’entrer dans Académie qui augmentera encore leur ardeur pour ces sources de leur dépravation; mais que ce doit être au contraire l’ignorance & l’abandon des Lettres & des Académies. En indiquant à ces sociétés les objets de morale dont ils doivent faire le sujet de leur prix, l’Auteur convient tacitement que c’est-là un des principaux objets des Lettres; qu’ainsi il ne s’est déchaîné jusqu’ici que contre des abus qui sont étrangers [143] à la véritable destination, & l’usage ordinaire des Belles-Lettres.

Qu’on ne m’oppose donc -- à des maux qui n’existent pas. Ceci est un peu énigmatique. Selon moi, les maux qui existent sont l’ignorance & les passions déréglées, avec lesquelles les hommes naissent. Les remedes employés sont les instructions, les écoles, les Académies.

Pourquoi faut-il -- de tonner les esprits à leur culture. Que devient donc le compliment fait dans la page précédente à nos Académies? Je me doutois bien que notre Orateur y auroit regret: il n’étoit pas dans ses principes.

Il semble, aux précautions -- de manquer de Philosophes. Il est un peu rare de voir les paysans passer dans nos Académies. Il est plus commun de les voir quitter la charrue pour venir être laquais dans les villes, & y augmenter le nombre des ignorans inutiles, & des esclaves du luxe.

Je ne veux point hasarder-la supporteroit pas. On la supporteroit à merveille, mais elle ne seroit pas favorable à l’Auteur. L’agriculture n’est pas plus nécessaire pour tirer de la terre d’excellentes productions, que la Philosophie pour faire faire à l’homme de bonnes actions, & pour le rendre vertueux.

Je demanderai seulement, -- dans les nôtres quelqu’un de vos spectateurs. Notre Auteur appelle ici de grands Philosophes, ce que tout le monde appelle des monstres. Si sa these a besoin d’une pareille ressource, je ne puis que la soutient.

Voilà donc les hommes -- l’immortalité réservée après [144] leur trépas. Voilà les hommes qui ont été en exécration parmi leurs concitoyens, & qui n’ont échappé à la vigilance des tribunaux, que par leur suite & par leur retraite dans des climats ou regne une licence effrénée.

Voilà les sages maximes -- en âge à nos descendans. J’ai trop bonne opinion de notre Orateur pour croire qu’il pense ce qu’il dit ici.

Le Paganisme, -- extravagances de l’esprit humain. On n’avoit pas non plus éternisé sa sagesse; & comme les bon choses que perpétue l’Imprimerie surpassent infiniment mauvaises, il est hors de tout doute que cette invention une des plus belles & des plus utiles que l’esprit humain jamais enfantées.

Mais, grace aux caracteres -- Hobbes & des Spinosa resteront à jamais. Et leurs réfutations aussi, lesquelles sont aussi solides & aussi édifiantes que les monstrueuses erreurs de ces écrivains sont folles & dignes du nom de rêveries.

* A considérer les désordres -- ce seroit peut-être le plus beau trait de la vie de cet illustre Pontife. Le parti qu’ont pris les Turcs est digne des secteurs de Mahomet & de son alcoran. Une religion aussi ridicule ne peut, sans doute, se soutenir que par l’ignorance. Le savoir est le triomphe de la vraie Religion. Origene l’a bien fait voir aux Payens; & les Arnauld, les Bossuet aux hérétiques. L’Evangile est le premier de tous les livres, sans doute; mais ce n’est pas le seul nécessaire, & Grégoire le grand auroit perdu son nom, s’il eût été capable d’une pareille sottise.

Allez, écrits célèbres -- corruption des moeurs de notre [145] siecle. On a vu ci-devant que les siecles anciens étoient beaucoup plus corrompus. Il est vrai qu’ils n’en disent rien à la postérité; mais la pratique presque générale des vices passoit de race en race comme par tradition. Peut-on comparer ce torrent débordé & universel des passions déréglées, des siecles barbares, avec quelques Poetes libertins, que laissé encore, échapper notre siecle.

Et portez ensemble -- qui soient précieux devant toi. Que le Dieu Tout-puissant ôte les lumieres & les talens à ceux qui en abusent, qu’il anéantisse les arts funestes à la vertu; qu’il donne la pauvreté à ceux qui sont un mauvais usage des richesses, mais qu’il répande abondamment les lumieres, les talens & les richesses sur ceux qui savent les employer utilement. Voilà la priere d’un bon citoyen, d’un homme raisonnable.

Mais si le progrès des Sciences -- des forces de ceux qui seroient tentés de savoir? Comme la majeure de cet argument est fausse, ces Auteurs sont dignes de toute la reconnaissance du public, & de l’Auteur même du Discours, qui a mieux profité qu’un autre de leurs travaux.

Que penserons-nous -- populace indigne d’en approcher. Le mot de Sanctuaire convient-il à un lieu où, selon l’Auteur, on va corrompre ses moeurs & son goût; je me serois attendu à toute autre expression; & en ce cas-là qu’est-ce que l’Auteur entend par cette populace indigne d’en approcher? Les plus indignes d’approcher d’un lieu de corruption, sont ceux qui sont les plus capables de porter sort loin cette corruption; ceux qui sont les plus capables de se distinguer [146] dans ce prétendu Sanctuaire; par exemple, ceux qui ont plus d’aptitude aux sciences, plus de sagacité, plus de génie; car tous ces gens-la en deviendront d’autant plus mauvais, d’autant plus dangereux au reste de la société, selon les principes de l’Auteur: à moins qu’ici la vérité ne lui échappe malgré lui, & qu’il ne rende aux sciences l’hommage qu’il leur doit à tant d’égards. Cette derniere conjecture est très-vraisemblable.

Tandis qu’il seroit à souhaiter -- que la nature destinoit à faire des disciples. Oh! ma conjecture devient ici plus que vraisemblable. L’Auteur reconnoît formellement la dignité & l’excellence des sciences; il n’y veut admettre que ceux qui y sont réellement propres, & il a raison au fond; cet abus dans les vocations est réel dans les bons principes & dans les principes ordinaires. Mais 1º. le Citoyen de Geneve ne raisonne pas conséquemment à sa these; car puisque les sciences sont pernicieuses aux moeurs, plus ceux qui les cultiveront seront spirituels, subtils, plus ils seront méchans & à craindre; & dans ce cas, pour le bien de la société, les stupides seuls doivent être destinés aux Sciences. 2?. Cet Auteur a oublié ici qu’il enveloppe les Arts aussi bien que les Sciences dans son anathème, & que ce fabricateur d’étoffe est un ministre du luxe. Qu’il aille donc labourer la terre. A quoi bon les étoffes? L’homme de bien est un athlète qui se plaît à combattre à nud. Nous en ressemblerons mieux à la vertu dans cette simplicité; & pourquoi tout le reste du corps ne supporteroit-il pas les injures des saisons, aussi bien que le visage & les mains? Ce seroit le moyen d’avoir des guerriers [147] capables de supporter l’excès du travail & de résister à la rigueur des saisons aux intempéries de l’air.

Les Vérulams, les Descartes & les Newtons -- l’espace immense qu’ils ont parcouru. Premiérement, il n’est point que les Vérulams, les Descartes, les Newtons n’aient point eu de maîtres; ces grands hommes en ont d’abord eu comme tous les autres, & ont commencé par apprendre tout ce qu’on savoit de leur tems. En second lieu, de ce que des génies transcendans, tels que ceux-ci, & tant d’autres que l’antiquité n’a point nommés, ont été capables d’inventer les Sciences &les Arts, l’Auteur veut que tous les hommes apprennent d’eux-mêmes, & sans maîtres, afin de rebuter ceux qui ne seront pas transcendans comme ces premiers; mais ce qui est possible à des génies de cette trempe, ne l’est pas pour tout autre; & si les Sciences sont bonnes, ces grands hommes ont très-bien mérité de la société de lui avoir communiqué leurs lumieres, & ceux qui en éclairent les autres hommes participent à cette action. Si au contraire les Sciences sont pernicieuses, ces hommes ne sont plus dignes de, l’admiration de l’Auteur. Ce sont des monstres qu’il falloit étouffer dès les premiers efforts qu’ils ont faits pour franchir l’espace immense qu’ils ont parcouru. Or, ce dernier parti auroit mis le comble à l’extravagance & à la barbarie, & l’Auteur a raison de regarder ces hommes divins comme les dignes précepteurs du genre-humain. On est charmé de voir que la vérité perce ici, comme à l’insçu de l’Orateur; il est fâcheux seulement qu’elle ne soit point d’accord avec le reste du Discours.

[148] S’il faut permettre à quelques hommes -- à la gloire de l’esprit humain. Les Sciences & les Arts sont donc des monumens élevés à la gloire de l’esprit humain; l’Auteur ne pense donc plus qu’ils sont la source de la dépravation de nos moeurs; car assurément ils mériteroient, dans ce cas, d’être regardés comme les monumens de sa honte, & ils n’arrachent de l’Auteur un aveu tout opposé que parce qu’ils ont les sources de la lumiere & de la droiture qui fait le parfait honnête homme & le vrai citoyen.

Mais si l’on veut que -- encouragement dont ils ont besoin. Voilà, ce me semble, bien des louanges épigrammatiques en faveur des génies destinés à perdre notre innocence, notre probité.

L’ame se proportionne -- Chancelier d’Angleterre. L’éloquence, selon l’Auteur, tire son origine de l’ambition, de la haire, de la flatterie & du mensonge. La physique d’une vaine curiosité, la morale même de l’orgueil humain, toutes les Sciences & les Arts de nos vices. Voilà de belles sources pour des Consuls & des Chanceliers actuellement les objets de l’admiration de l’Auteur; ou Rome & l’Angleterre étoient là dans de bien mauvaises mains, ou les principes de l’Orateur sont bien étranges.

Croit-on que si l’un n’eût occupé -- l’art de conduire le Peuples est plus difficile que celui de les éclairer: toute cette page est de la plus grande beauté, comme de la plus exacte vérité, & elle est malheureusement une contradiction perpétuelle du reste de l’ouvrage.

Comme s’il étoit plus aisé -- les peuples continueront d’être [149] vils, corrompus & malheureux. Voir donc l’Auteur revenu aux vérités que nous avons établies dans nos premieres remarques. Les lumieres & la sagesse vont donc ensemble; les savans possédent l’un & l’autre, puisqu’il n’est plus question que de leur donner du pouvoir, pour qu’ils entreprennent & fassent de grandes choses. Donc la science ne dégrade pas les moeurs & le goût. Donc le parti que l’Orateur a pris n’est pas juste, ni son discours solide.

Pour nous, hommes vulgaires, -- nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage. Les soins que coûte l’éducation des enfans, ne prouvent que trop les peines & l’appareil, & j’ajoute les stratagêmes qu’il faut mettre en usage pour inculquer aux hommes les principes de la morale, & former leurs moeurs. Non pas que la théorie de cette morale, de cette éducation soit si épineuse; mais c’est que la pratique en est des plus pénibles, & qu’on échoue encore souvent sur certains caracteres, avec tout l’art que ce siecle éclairé a imaginé pour y réunir.

Tes principes ne sont-ils pas gravés -- dans le silence des passions? La supposition du silence des passions est charmante; mais qui leur imposera silence à ces passions? sinon des lumieres bien vives sur leur perversité, sur leurs suites funestes, sur les moyens de les dompter, ou même de les éviter, en élevant l’ame à des objets plus dignes d’elle; enfin en devenant philosophes & savans.

Voilà la véritable Philosophie, -- que l’un savoit bien dire, & l’autre, bien faire. Pourquoi seroit-il défendu de mériter ces deux couronnes à la fois? Bien faire & bien penser sont [150] inséparables, & il n’est pas difficile de bien dire à qui pense bien; mais comme on n’agit pas sans penser, sans réfléchir, l’art de bien penser doit précéder celui de bien faire. Celui qui aspire donc à bien faire, doit, pour être plus sur du succès, avoir les lumieres & la sagesse de son côté, ce que la culture des Sciences, de la Philosophie peut seule lui donner. «Si vous voulez, dit Cicéron, vous former des regles d’une vertu solide; c’est de l’étude de la philosophie que vous devez les attendre, ou il n’y a point d’art capable de vous les procurer. Or ce seroit une erreur capitale, & un manque de réflexion, de dire qu’il n’y a point d’art pour acquérir les talens les plus sublimes, les plus essentiels, pendant qu’il y en a pour les plus subalternes. Si donc il y a quelque science qui enseigne la vertu, où la chercherez-vous, sinon dans la Philosophie?»

Sive ratio constantiae, virtutisque ducitur: aut haec ars est (Philosophia) aut nulla ominô, per quam eas assequamur. Nullam dicere rnaximarum rerum artem esse, cùm minimarum sine arte nulla sit; hominum est parùm consideraté loquentium, atque in maximis rebus errantium. Si quidem est aliqua disciplina virtutis, ubi ea quoeretur, cùm ab hoc discendi genere discesseris. Cicero de Offic. l. 11. p. 10. de l’Edit, de Glasgow.

[151]

ADDITION A LA RÉFUTATION PRÉCÉDENTE

A Dijon, ce 15 Octobre 1751.

MONSIEUR,

Je viens de recevoir de Paris une Brochure, où M. Rousseau réplique à une réponse faite à son Discours par la voie du Mercure. Cette réponse a plusieurs chefs communs avec nos remarques, & par conséquent la réplique nous intéresse. Notre Réfutation du Discours en deviendra complete, en y joignant celle de cette réplique que je vous envoye, & j’espere qu’elle arrivera encore assez à tems pour être placée à la suite de nos remarques.

J’ai l’honneur d’être, &c.

P.S. Vous avez trouvé singulier qu’on ait mis en question.... Si le rétablissement des Sciences & des Arts a contribué à épurer les moeurs.... L’Académie Françoise confirme authentiquement votre opinion, Monsieur, en proposant pour le sujet du prix d’éloquence de l’année 1752, cette vérité à établir.... L’amour des Belles-Lettres inspire l’amour de la vertu.... C’est le droit & le devoir des Cours souveraines, Monsieur, de redresser les décisions hasardées par les autres Jurisdictions. M. Rousseau a senti toute la forcé de l’autorité de ce Programme publié par la premiere [152] Académie du monde, en fait de Belles-Lettres; il a tâche de l’affoiblir, en disant que cette sage Compagnie a doublé dans cette occasion le tems qu’elle accordoit ci-devant aux Auteurs, même pour les sujets les plus difficiles.... Mais cette circonstance n’infirmé en rien le jugement que ce tribunal suprême porte contre la these du Citoyen de Geneve; elle peut seulement faire penser que ce sujet exige beaucoup d’érudition, de lecture, par conséquent de tems; ce qui est vrai. D’ailleurs, cette sage Compagnie suit l’usage de toutes les Académies, quand elle propose en 1751 le sujet des prix qu’elle doit donner en 1752. Il en est même plusieurs qui mettent deux ans d’intervalle entre la publication du Programme & la distribution du prix.

FIN.

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