JEAN JACQUES ROUSSEAU

[421]

OLINDE ET SOPHRONIE TIRE
DU TASSE

TRADITION
DU COMMENCEMENT
DU SECOND CHANT
DE LA JERUSALEM
DÉLIVRÉE,

Contenant l’Histoire d’Olinde & de Sophronie.

[423] Tandis que le tyran se prépare à la guerre, Ismene un jour se présente à lui; Ismene qui de dessous la tombe peut faire sortir un corps mort & lui rendre le sentiment & la parole. Ismene qui peut, au son des paroles magiques, effrayer Pluton, jusqu’en son palais, qui commande aux démons en maître, les emploie à ses œuvres impies & les enchaîne ou délie à son gré.

Chrétien jadis, aujourd’hui mahométan, il n’a pu quitter tout-à-fait ses anciens rites, & les profanant à de criminels usages, mêle & confond ainsi les deux loix qu’il connoît mal. Maintenant du fond des antres où il exerce ses arts ténébreux; vient à son Seigneur dans le danger public, à mauvais Roi, pire conseiller.

[425] Sire, dit-il, la formidable & victorieuse armée arrive. Mais nous, remplissons nos devoirs, le ciel & la terre seconderont notre courage. Doué de toutes les qualités d’un Capitaine & d’un Roi, vous avez de loin tout prévu, vous avez pourvu à tout, & si chacun s’acquitte ainsi de sa charge, cette terre sera le tombeau de vos ennemis.

Quant à moi, je viens de mon côté partager vos périls & vos travaux. J’y mettrai pour ma part les conseils de la vieillesse & les forces de l’art magique. Je contraindrai les anges bannis du ciel à concourir à mes soins. Je veux commencer mes enchantemens par une opération dont il faut vous rendre compte,

Dans le temple des Chrétiens sur un autel souterrain est une image de celle qu’ils adorent, & que leur peuple ignorant fait la mere de leur Dieu, né, mort & enséveli. Le simulacre devant lequel une lampe brûle sans cesse, est enveloppé d’un voile, & entouré d’un grand nombre de vœux suspendus en ordre & que les crédules dévots y portent de toutes parts.

[427] Il s’agit d’enlever de-là cette effigie & de la transporter de propres mains dans votre Mosquée; là j’y attacherai un arme si fort, qu’elle sera tant qu’on l’y gardera, la sauvegarde de vos portes, & par l’effet d’un nouveau mystere, vous conserverez dans vos murs un empire inexpugnable.

A ces mots le Roi persuadé, court impatient à la maison de Dieu, force les Prêtres, enleva sans respect le chaste simulacre de le porte à ce temple impie où. un culte insensé ne fait qu’irriter le Ciel. C’est-là, c’est dans ce lieu profane & sur cette sainte image, que le magicien murmure ses blasphêmes.

Mais le matin du jour suivant, le gardien du temple immonde ne vit plus l’image où elle étoit la veille, & l’ayant cherchée envain de tous côtés, courut avertir le Roi, qui, ne doutant pas que les Chrétiens ne l’eussent enlevée, en fut transporté de colere.

[429] Soit qu’en effet ce fût un coup d’adresse d’une main pieuse, ou un prodige du Ciel indigné que l’image de sa Souveraine soit prostituée en un lieu souillé, il est édifiant, il est juste de faire céder le zele & la piété des hommes, & de croire que le coup est venu d’en-haut.

Le Roi fit faire dans chaque Eglise & dans chaque maison la plus importune recherche, & décerna de grands prix & de grandes peines à qui révéleroit ou recéleroit le vol. Le magicien de son côté, déploya sans succès toutes les forces de son art pour en découvrir l’auteur. Le Ciel, au mépris de ses enchantemens & de lui, tint l’oeuvre secrete, de quelque part qu’elle pût venir.

Mais le tyran, furieux de se voir cacher le délit qu’il attribue toujours aux fideles, se livre contre eux à la plus ardente rage. Oubliant toute prudence, tout respect humain, il veut à quelque prix que ce soit assouvir sa vengeance. «Non, non, s’écrioit-il, la menace ne sera pas vaine: le coupable a beau se cacher, il faut qu’il meure; ils mourront tous, & lui avec eux.»

[431] «Pourvu qu’il n’échappe pas, que le juste, que l’innocent périsse, qu’importe? Mais qu’ai-je dit, l’innocent? Nul ne l’est, & dans cette odieuse race, en est-il un seul qui ne soit notre ennemi? Oui, s’il en est d’exempts de ce délit, qu’ils portent la peine due à tous pour leur haine; que tous périssent, l’un comme voleur & les autres comme Chrétiens. Venez, mes loyaux, apportez la flamme & le fer. Tuez & brûlez sans miséricorde.»

C est ainsi qu’il parle à son peuple. Le bruit de ce danger parvient bientôt aux Chrétiens. Saisis, glacés d’effroi par l’aspect de la mort prochaine, nul ne songe à fuir ni à se défendre; nul n’ose tenter les excuses ni les prieres. Timides, irrésolus, ils attendoient leur destinée, quand ils virent arriver leur salut, d’où ils j’espéroient le moins.

Parmi étoit une, vierge, déjà nubile, d’une aine sublime, d’une beauté d’ange qu’elle néglige ou dont elle ne prend que les soins dont l’honnêteté se pare, & ce qui ajoute au prix de ses charmes, dans les murs d’une étroite enceinte elle les soustrait aux yeux & aux vœux des amans.

[433] Mais est-il des mûrs que ne perce quelque rayon d’une beauté digne de briller aux yeux & d’enflammer les cœurs? Amour! le souffrirois-tu? Non, tu l’as révélée aux jeunes desirs d’un adolescent. Amour! qui, tantôt argus & tantôt aveugle, éclaires les yeux de ton flambeau ou les voiles de ton bandeau, malgré tous les gardiens, toutes les clôtures, jusques dans les plus chastes asyles, tu sçus porter un regard étranger.

Elle s’appelle Sophronie, Olinde est le nom du jeune homme, tous deux ont la même patrie & la même soi. Comme il est modeste autant qu’elle est belle, il desire beaucoup, espere peu, ne demande rien & ne sait ou n’ose se découvrir. Elle, de son côté, ne le voit pas, ou n’y pense pas, ou le dédaigne, & le malheureux perd ainsi ses soins ignorés, mal connus, ou mal reçus.

Cependant on entend l’horrible proclamation & le moment du massacre approche. Sophronie, aussi généreuse qu’honnête forme le projet de sauver son peuple. Si sa modestie l’arrête, son courage l’anime & triomphe, ou plutôt ces deux vertus s’accordent & s’illustrent mutuellement.

[435] La jeune vierge sort seule au milieu du peuple; sans exposer ni cacher ses charmes, en marchant elle recueille ses yeux, resserre son voile, & en impose par la réserve de son maintien. Soit art ou hazard, soit négligence ou parure, tout concourt à rendre sa beauté touchante: le Ciel, la nature & l’amour qui la favorisent, donnent à ses négligences l’effet de l’art.

Sans daigner voir les regards qu’elle attire à son passage, & sans détourner les siens, elle se présente devant le Roi, ne tremble point en voyant sa colere & soutient avec fermeté son féroce aspect. Seigneur, lui dit-elle, daignez suspendre votre vengeance & contenir votre peuple. Je viens vous découvrir & vous livrer le coupable que vous cherchez & qui vous a si fort offensé.

A l’honnête assurance de cet abord, à l’éclat subit de ces chastes & fieres graces, le Roi confus de subjugué, calme sa colere & adoucit son visage irrité. Avec moins de sévérité, lui dans l’ame, elle sur le visage, il en devenoit amoureux. Mais une beauté revêche ne prend point un cœur farouche, & les douces manieres sont les amorces de l’amour.

[437] Soit surprise, attrait ou volupté plutôt qu’attendrissement, le barbare se sentit ému. Déclare-moi tout, lui dit-il; voilà que j’ordonne qu’on épargne ton peuple. Le coupable, reprit-elle, est devant vos yeux; voilà la main dont ce vol est l’oeuvre. Ne cherchez personne autre; c’est moi qui ai ravi l’image; & je suis celle que vous devez punir.

C’est ainsi que se dévouant pour le salut de son peuple, elle détourne courageusement le malheur public sur elle seule. Le Tyran, quelque tems irrésolu, ne se livre pas si-tôt à sa furie accoutumée; il l’interroge: il faut, dit-il, que tu me déclares qui t’a donné ce conseil & qui t’a aidé à l’exécuter.

Jalouse de ma gloire, je n’ai voulu, répond-elle, en faire part à personne. Le projet, l’exécution, tout vient de moi seule, & seule j’ai su mon secret. C’est donc sur toi seule, lui dit le Roi, que doit tomber ma vengeance. Cela’est juste reprend-elle; je dois subir toute la peine, comme j’ai remporté tout l’honneur.

[439] Ici le courroux du Tyran commence à se rallumer. Il lui demande où elle a caché l’image? Elle répond; je ne l’ai point cachée, je l’ai brûlée, & j’ai cru faire une œuvre louable de la garantir ainsi des outrages des mécréans. Seigneur, est-ce le voleur que vous cherchez? il est en votre présence. Est-ce le vol? vous ne le reverrez jamais.

Quoiqu’au reste ces noms de voleur & de vol ne conviennent ni à moi ni à ce que j’ai fait. Rien n’est plus juste que de reprendre ce qui fut pris injustement.

A ces mots, le Tyran pousse un cri menaçant: sa colere n’a plus de frein. Vertu, beauté, courage, n’espérez plus trouver grace devant lui. C’est envain que pour la défendre d’un barbare dépit, l’amour lui fait un bouclier de ses charmes.

On la saisit; rendu à toute sa cruauté, le Roi la condamne à périr sur un bûcher. Son voile, sa chaste mante lui sont arrachés; ses bras délicats sont meurtris de rudes chaînes. Elle se tait; son ame forte, sans être abattue, n’est pas sans émotion, & les roses éteintes sur son visage y laissent la candeur de l’innocence plutôt que la pâleur de la mort.

[441] Cet acte héroïque aussi-tôt se divulgue. Déjà le peuple accourt en foule. Olinde accourt aussi tout alarmé. Le fait étoit sûr, le personne encore douteuse, ce pouvoit être la maitresse de son cœur. Mais si-tôt qu’il apperçoit la belle prisonniere en cet état, si-tôt qu’il voit les ministres de sa mort occupés à leur dur office, il s’élance, il heurte la foule.

Et crie au Roi: non, non; ce vol n’est point de son fait; c’est par folie qu’elle s’en ose vanter. Comment une jeune fille sans expérience pourroit-elle exécuter, tenter, concevoir même une pareille entreprise? Comment a-t-elle trompé les gardes? Comment s’y est-elle prise, pour enlever la sainte image? Si elle l’a fait, qu’elle s’explique. C’est moi, Sire, qui ai fait le coup. Tel fut, tel fut l’amour dont même sans retour il brûla pour elle.

Il reprend ensuite. Je suis monté de nuit jusqu’à l’ouverture par où l’air & le jour entrent dans votre Mosquée, & tentant des routes presques inaccessibles, j’y suis entré par un passage étroit. Que celle-ci cesse d’usurper la peine qui m’est due. J’ai seul mérité l’honneur de la mort: c’est à moi qu’appartiennent ces chaînes, ce bûcher, ces flammes; tout cela n’est destiné que pour moi.

[443] Sophronie leve sur lui les yeux, la douceur, la pitié sont peintes dans ses regards. Innocent infortuné, lui dit-elle, que viens-tu faire ici? Quel conseil t’y conduit? Quelle fureur t’y traîne? Crains-tu que sans toi mon ame ne puisse supporter la colore d’un homme irrité? Non, pour une seule mort, je me suffis à moi seule, & je n’ai pas besoin d’exemple pour apprendre à la souffrir.

Ce discours qu’elle tient à son amant ne le fait point rétracter ni renoncer à son dessein. Digne & grand spectacle! où l’amour entre en lice avec la vertu magnanime, ou la mort est le prix du vainqueur & la vie la peine du vaincu! Mais loin d’être touché de ce combat de confiance & de générosité, le Roi s’en irrite.

Et s’en croit insulté, comme si ce mépris du supplice retomboit sur lui. Croyons-en, dit-il, à tous deux, qu’ils triomphent l’un & l’autre & partagent la palme qui leur est due. Puis il fait signe aux sergens, & dans l’instant Olinde cil dans les fers. Tous deux liés & adossés au même pieu ne peuvent se voir en face.

[445] On arrange autour d’eux le bûcher, & déjà l’on excite la flamme, quand le jeune homme éclatant en gémissemens dit à celle avec laquelle il est attaché: C’est donc-là le lien duquel j’espérois munir à toi pour la vie! C’est donc-là ce feu dont nos cœurs devoient brûler ensemble!

O flammes, ô nœuds qu’un sort cruel nous destine! hélas, vous n’êtes pas ceux que l’amour m’avoit promis! Sort cruel qui nous sépara durant la vie & nous joint plus durement encore à la mort! ah! puisque tu dois la subir aussi funeste, je me console en la partageant avec toi de t’être uni sur ce bûcher, n’ayant pu l’être à la couche nuptiale. Je pleure, mais sur ta triste destinée, & non sur la mienne, puisque je meurs à tes côtés.

O que la mort me sera douce, que les tourmens me seront délicieux, si j’obtiens qu’au dernier moment, tombant l’un sur l’autre, nos bouchés se joignent pour exhaler & recevoir au même instant nos derniers soupirs! Il parle & ses pleurs étouffent ses paroles. Elle le tance avec douceur & le remontre en ces termes.

[447] Ami, le moment où nous sommes exige d’autres soins & d’autres regrets. Ah! pense, pense à tes fautes & au digne prix que Dieu promet aux fideles. Souffre en son nom, les tourmens te seront doux: aspire avec joie au séjour céleste. Vois le Ciel comme il est beau; vois le soleil dont il semble que l’aspect riant nous appelle & nous console.

A ces mots tout le peuple païen éclate en sanglots, tandis que le fidele ose à peine gémir à plus basse voix. Le Roi même, le Roi sent au fond de son ame dure je ne sais quelle émotion prête à l’attendrir. Mais en la pressentant, il s’indigne, s’y refuse, détourne les yeux, & part sans vouloir se laisser fléchir. Toi seule, ô Sophronie, n’accompagne point le deuil général, & quand tout pleure sur toi, toi seule ne pleure pas!

En ce péril pressant survient un guerrier ou paroissant tel, d’une haute & belle apparence, dont l’armure & l’habillement étranger annonçoit qu’il venoit de loin. Le Tigre, fameuse enseigne qui couvre son casque, attira tous les yeux & fit juger avec raison que c’étoit Clorinde.

[449] Dès l’âge le plus tendre, elle méprisa les mignardises de son sexe. Jamais ses courageuses mains ne daignerent toucher le fuseau, l’aiguille & les travaux d’Arachné. Elle ne voulut ni s’amollir par des vêtemens délicats, ni s’environner timidement de clôtures. Dans les camps même, la vraie honnêteté se fait respecter, & par-tout sa force & sa vertu fut sa sauve-garde. Elle arma de fierté son visage & se plut à le rendre sévere; mais il charme tout sévere qu’il est.

D’une main encore enfantine elle apprit à gouverner le mots d’un coursier, à manier la pique & l’épée; elle endurcit son corps sur l’arêne, se rendit légere à la course, sur les rochers, à travers les bois, suivit à la piste les bêtes feroces, se fit guerriere enfin, & après avoir fait la guerre en homme aux lions dans les forêts, combattit en lion dans les camps parmi les hommes.

Elle venoit des contrées Persanes pour résister de toute sa force aux Chrétiens. Ce n’étoit pas la premiere fois qu’ils éprouvoient son courage. Souvent elle avoir dispersé leurs membres sur la poussiere & rougi les eaux de leur sang. L’appareil de mort qu’elle apperçoit en arrivant la frappe; elle pousse son cheval & veut savoir quel crime attire un tel châtiment.

[451] La foule s’écarte & Clorinde en considérant de près les deux victimes attachées ensemble, remarque le silence de l’une & les gémissemens de l’autre. Le sexe le plus foible montre en cette occasion plus de fermeté, & tandis qu’Olinde pleure de pitié plutôt que de crainte, Sophronie se tait, & les yeux fixés vers le Ciel semble avoir déjà quitté le séjour terrestre.

Clorinde encore plus touchée du tranquille silence de l’une que des douloureuses plaintes de l’autre, s’attendrit sur leur fort jusqu’aux larmes; puis se tournant vers un vieillard qu’elle apperçut auprès d’elle; dites-moi, je vous prie, lui demanda-t-elle, qui sont ces jeunes gens, & pour quel crime ou par quel malheur ils souffrent un pareil supplice?

Le vieillard en peu de mots ayant pleinement satisfait y sa demande, elle fut frappée d’étonnement, & jugeant bien que tous deux étoient innocens, elle résolut, autant que le pourroit sa priere ou tes armes, de les garantir de la mort. Elle s’approche, en faisant retirer la flamme pré te à les atteindre; elle parle ainsi à ceux qui l’attisoient.

[453] Qu’aucun de vous n’ait l’audace de poursuivre cette cruelle œuvre jusqu’à ce que j’aye parlé au Roi, je vous promets qu’il ne vous saura pas mauvais gré de ce retard. Frappés de son air grand & noble, les fergens obéirent; alors elle achemina vers le Roi & le rencontra qui venoit au-devant d’elle.

Seigneur, lui dit-elle, je suis Clorinde; vous m’avez peut-être ouï nommer quelquefois. Je viens m’offrir pour défendre avec vous la foi commune & votre trône. Ordonnez, soit en pleine campagne ou dans l’enceinte des murs, quelqu’emploi qu’il vous plaise m’assigner, je l’accepte, sans craindre les plus périlleux ni dédaigner les plus humbles.

Quel pays, lui répond le Roi, est si loin de l’Asie & de route du soleil, où l’illustre nom de Clorinde ne vole pas sur les ailes de la gloire! Non, vaillante guerriere, avec vous n’ai plus ni doute ni crainte, & j’aurois moins de confiance une armée entiere venue à mon secours qu’en votre seule assistance.

[455] Oh que Godefroy n’arrive-t-il à l’instant même! Il vient trop lentement à mon gré. Vous me demandez un emploi? Les entreprises difficiles & grandes sont les seules dignes de vous. Commandez à nos guerriers: je vous nomme leur général. La modeste Clorinde lui rend grace, & reprend ensuite:

C’est un chose bien nouvelle, sans doute, que le salaire précede les services; mais ma confiance en vos bontés me fait demander pour prix de ceux que j’aspire à vous rendre, la grace de ces deux condamnés. Je les demande en pur don, sans examiner si le crime est bien avéré, si le châtiment n’est point trop sévere, & sans m’arrêter aux signes sur lesquels je préjuge leur innocence.

Je dirai seulement que quoiqu’on accuse ici les Chrétiens d’avoir enlevé l’image, j’ai quelque raison de penser autrement. Cette œuvre du magicien fut une profanation de notre loi qui n’admet point d’idoles dans nos temples, & moins encore celles des Dieux étrangers.

[457] C’est donc à Mahomet que j’aime à rapporter le miracle, sans doute il l’a fait pour nous apprendre à ne pas souiller ses temples par d’autres cultes. Qu’Ismene fasse à son gré ses enchantemens, lui dont les exploits sont des maléfices. Pour nous guerriers, manions le glaive; c’est-là notre défense & nous ne devons espérer qu’en lui.

Elle se tait-; &, quoique l’ame colere du Roi ne s’appaise pas sans peine, il voulut néanmoins lui complaire, plutôt fléchi par sa priere & par la raison d’Etat que par la pitié. Qu’ils aient, dit-il, la vie & la liberté: un tel intercesseur peut-il éprouver des refus? Soit pardon, soit justice, innocens je les absous, coupables je leur fais grace.

Ils furent ainsi délivrés, & là fut couronné le sort vraiment aventureux de l’amant de Sophronie. Eh! comment refuseroit-elle de vivre avec celui qui voulut mourir pour elle? Du bûcher ils vont à la noce; d’amant dédaigné, de patient même, il devient heureux époux, & montre ainsi dans un mémorable exemple, que les preuves d’un amour véritable ne laissent point insensible un cœur généreux.

FIN.

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