JEAN JACQUES ROUSSEAU
INNUPTIAS CARLOINA EMANUELIS,
INVICTISSIMI SARDINAE REGIS,
DUCIS SABAUDIAE, &c.
ET REGINAE AUGUSTISSIMAE AE ELISABETHAE LOTHARINGIA.
[ODE]
[1737. Publication, Boubers édition, Oeuvres mêlées de Rousseau, Londres, 1776.== Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. XIII, pp. 394-400.
INNUPTIAS CARLOINA EMANUELIS, INVICTISSIMI SARDINAE REGIS, DUCIS SABAUDIAE, &c. ET REGINAE AUGUSTISSIMAE AE ELISABETHAE LOTHARINGIA.
[ODE]
ODE
Ergo nunc vatem, mea musa, Regi
Plectra jussisti nova dedicare?
Ergo da magnum celebrare di gno
Carmine Regem.
Inter Europoe populos furorem
Impius belli Deus excitârat,
Omnis armorum strepitu fremebat
Itala tellus.
Interim caeco latitans sub antro
Moesta pax diros hominum tumultus.
Audit, undantesque videt recenti
Sanguine campos.
[395] Cernit heroem procul oestuantem;
Carolum agnoscit spoliis onustum,
Diva suspirans adit, atque mentem
Flectere tentat.
Te quid armorum juvat, inquit, horror?
Parce jam victis, tibi parce, Princeps,
Ne caput sacrum per aperta belli
Mitte pericla.
Te diu Movors ferus occupavit,
Teque palmarum seges ampla ditat,
Nunc pius pacem cole, mitiores
Concipe sensus.
Ecce divinam super puellam,
Proemium pacis, tibi destinarunt
Sanguinem regum, Lotharoeque claram
Stemmate gentis.
Scilicet tantum meruere munis
Regiae dotes, amor unus oequi,
Sanctitas morum, pietasque castae
Hospita mentis.
Paruit Princeps monitis Deorum,
Ergo sestina generosa virgo,
Nec soror, nec te lacrimis moretur
Anxia mater.
Montium nec te nive candidorum
Terreat surgens super astra moles,
[396] Se tibi sensim juga celsa prono
Culmine sistent.
Cernis? Ô! quanta speciosa pompa
Ambulat, currum teneri lepores
Ambiunt, sponsae sedet & modesto
Gratia vultu.
Rex ut attenta bibit aure famam!
Splendidâ latè comitatus aulâ,
Ecce confestim volat inquieto
Raptus amore.
Qualis in coelo radiis coruscans
Vulgus astrorum tenebris recondit
Phoebus, augusto micat inter omnes
Lumine Princeps.
Carole, heroum generose sanguis,
Quâ lirâ vel quo satis ore possim
Mentis excelsae titulos & ingens.
Dicere pectus.
Nempe magnoreum meditans avorum
Facta, quos virtus sua consecravit,
Arte qua coelum meruêre coelum
Scandere tendis.
Clara seu bello referas trophoea,
Seu colas artes placidus quietas,
Mille te monstrant monumenta magnum
Inclita Regem.
[397] Venit, Ô! festos geminate plausus,
Venit optanti data diva terrae,
Blanda quae tandem populis revexit
Otia venit.
Hujus adventu, fugiente brumâ,
Omnis Aprili via ridet hertrâ,
Floribus spirant, viridique lucent
Gramine campi.
Protinus pagis bene feriatis
Exeunt laeti proceres, coloni;
Obviam passim tibi corda currunt
Regia conjux.
Aspicis? Crebrâ crepitante flammâ
Ignis ut cunctas simulat figuras,
Ut fugat noctem, riguis ut aether
Depluit astris.
Audiunt colles, opaca longè
Colla submittunt, trepidaeque circum
Contremunt pinus, iteratque voces
Alpibus echo.
Vive ter centum, bone Rex, per annos;
Sic thori consors bona, vive; vestrum
Vivat aeternum genus, & Sabaudis
Imperet annis.
Offerebat Regi, &c.
JOHANNES PUTHOD, Canonicus Rupensis.
TRADUCTION DE L’ODE PRECEDENTE, PAR J. J. ROUSSEAU
Muse, vous exigez de moi que je consacre au Roi de nouveaux chants, inspirez-moi donc des vers dignes d’un si grand monarque.
Le terrible Dieu des combats avoit semé la discorde entre les peuples de l’Europe: toute l’Italie retentissoit du bruit des armes; pendant que la triste paix entendoit du fond d’une antre obscure les tumultes furieux, excités par les humains, & voyoit les campagnes inondées de nouveaux flots de sang. Elle distingue de loin un héros enflammé par sa valeur; c’est Charles qu’elle reconnoit, chargé de glorieuses dépouilles. La déesse l’aborde en soupirant, & tâche de le fléchir par ses larmes.Prince, lui dit-elle, quels charmes trouvez-vous dans l’horreur du carnage? Epargnez des ennemis vaincus; épargnez-vous vous-même, & n’exposez plus votre tête sacrée à de si grands périls; le cruel Mars vous a trop long-tems occupé. Vous êtes chargé d’une ample moisson de palmes. Il est tems désormais que la paix ait part à vos soins, &que vous livriez votre coeur à des sentimens plus doux. Pour je prix de cette paix les dieux vous ont destiné une jeune & divine princesse du sang des rois, illustre par tant de héros [399] que l’auguste maison de Lorraine a produits, & qu’elle compte parmi ses ancêtres. Un si digne présent est la récompense de vos vertus royales, de votre amour pour l’équité, de la sainteté de vos moeurs, & de cette douce humanité, si naturelle à votre ame pure.
Le monarque acquiesce aux exhortations des dieux. Hâtez-vous, généreuse princesse, ne vous laissez point retarder par les larmes d’une soeur & d’une mere affligée. Que ces monts couverts de neige, don’t le sommet se perd dans les cieux, ne vous effrayent point. Leurs cimes élevées s’abaisseront pour favoriser votre passage.
Voyez avec quel cortege brillant marche cette charmante épouse, les Graces environnent son char, & son visage modeste est fait pour plaire.
Cependant le roi écoute avec empressement tous les éloges que répand la renommée. Il part, accompagné d’une cour, pompeuse. Il vole, emporté par l’impatience de son amour. Tel que l’éclatant Phoebus efface dans le ciel, par la vivacité de ses rayons, la lumiere des autres astres, ainsi brille cet auguste Prince au milieu de tous ses courtisans.
Charles, généreux sang des héros, quels accords assez sublimes, quels vers assez majestueux pourrai-je employer pour chanter dignement les vertus de ta grande ame & l’intrépidité de ta valeur. Ce sera, grand Prince, en méditant sur les [400] hauts faits de tes magnanimes Aïeux que leur vertu a consacrés; car tu cours à la gloire par le même chemin qu’ils ont pris pour y parvenir.
Soit que tu remportes de la guerre les plus glorieux trophées, & qu’en paix tu cultives les Beaux-Arts, mille monumens illustres témoignent la grandeur de ton regne.
Mais redoublez vos chants d’allégresse; je vois arriver cette reine divine que le ciel accorde à nos voeux: elle vient; c’est elle qui a ramené de doux loisirs parmi les peuples. A son abord l’hiver suit, toutes les routes se parent d’une herbe tendre; les champs brillent de verdure, & se couvrent de fleurs. Aussi-tôt les maîtres & les serviteurs quittent leur labourage & accourent pleins de joie. Royale épouse, les coeurs volent de toutes parts au-devant de vous.
Voyez comment, au milieu des torrents d’une flamme bruyante, le feu prend toutes sortes de figures. Voyez fuir la nuit; voyez cette pluie d’Astrée qui semble se détacher du ciel.
Le bruit se fait entendre dans les montagnes, & passe bien loin au-dessus de leurs cimes massives, les sapins d’alentour étonnés en frémissent, & les échos des Alpes en redoublent le retentissement.
Vivez, bon roi, parcourez la plus longue carriere: vivez de même, digne épouse; que votre postérité vive éternellement & donne ses loix à la Savoie.
FIN.