[JEAN JACQUES ROUSSEAU]
LETTRE
A M. L’ABBÉ ROUSSIER
[Du Peyrou/Moultou 1780-1789 quarto édition; t. XV, pp. 558-559]
LETTRE
A M. L’ABBÉ ROUSSIER.
Il m’est revenu, Monsieur, que vous aviez été m’écoutent de ce que j’ai dit de vous dans l’Errata de l’Essai sur la musique. La note que vous avez pris la peine de faire sur la vingt-huitieme page de cette brochure, est même tombée entre mes mains. Cette note me prouve que j’ai eu un tort vis-à-vis de vous: mon empressement à le réparer doit vous prouver combien il a été involontaire. Je ne connois point, Monsieur, le Mémoire sur la musique des anciens que vous donnâtes en 1770; j’avois ouï dire que vous étiez partisan fanatique de la basse fondamentale, & que vous y trouviez tout ce que les visionnaires anciens & modernes ont trouvé dans le systême musical des Grecs. L’imputation n’étoit pas de nature à exiger-que je ne l’adoptasse qu’après un mûr examen. D’ailleurs, j’avois vu par moi-même que l’auteur de l’Essai sur la musique s’étayoit à chaque page de votre sentiment: j’ai cru...... vous ménager en ne me permettant à votre sujet que des plaisanteries. J’ai eu depuis, (& j’en remercie la fortune) occasion de prendre une toute autre idée de vous, Monsieur: j’ai entendu parler avec tant de distinction de votre caractere, de vos moeurs, de votre savoir, & de votre modestie, que j’ai conçu pour vous une estime qui ajoute beaucoup au regret, que j’aurois même sans elle, de m’être trompée un instant sur votre compte. J’ajouterai avec [559] le plus grand plaisir que, si comme le prétend l’auteur d l’Essai sur la musique, le Dictionnaire de cet art a besoin d’être refondu (ce que je ne puis admettre d’après son jugement, ni nier d’après le mien), je pense que vous êtes le seul de nos savans qui sachiez de quel ton il convient de relever les erreurs d’un grand homme; le seul dont l’envie ne dirige pas la critique; le seul enfin à qui l’honnêteté de ses intentions, & la supériorité de ses lumieres donnent le droit de perfectionner l’ouvrage de J. J. Rousseau, Je pense encore que, si vous tenez de la nature autant de goût, que l’étude vous a fait acquérir de connoissances, c’est grand dommage que vous vous soyez borné à écrire sur la musique.
Si vous jugez à propos, Monsieur, de faire insérer cette lettre dans quelque papier public, non-seulement j’y consens; mais je vous en prie. Loin de rougir de l’aveu qu’elle contient, loin que l’hommage que je vous y rends me coûte, je trouve l’un & l’autre assez bien placés, pour être très-fâchée que les circonstances ne me permettent pas de m’en faire honneur.
FIN.