JEAN JACQUES ROUSSEAU
[VERS]
[1741-1742, Bibliothèque de Genève, MS. fr. 231. Publication, Boubers édition Oeuvres mêlées de Rousseau, Londres, 1776, t. VIII; le Pléiade édition, t. II, pp. 1133, 1895. == Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. XIII, p. 429.]
ENIGME
Enfant de l’art, enfant de la nature,
Sans prolonger les jours j’empêche de mourir;
Plus je suis vrai, plus je fais d’imposture,
Et je deviens trop jeune a force de vieillir.
(C’est le portrait.)
A MADAME LA BARONNE DE WARENS,
VIRELAI
[1737/1738. Publication, Boubers édition, Oeuvres mêlées de Rousseau, Londres, 1776, t. VIII; le Pléiade édition, t. II, pp. 1122, 1890. == Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. XIII, p. 429-430.]
A MADAME
LA BARONNE
DE WARENS, VIRELAI.
Madame, apprenez la nouvelle
De la prise de quatre rats;
Quatre rats n’est pas bagatelle,
Aussi n’en badiné-je pas:
Et je vous mande avec grand zele
Ces vers qui vous diront tout bas,
Madame, apprenez la nouvelle
De la prise de quatre rats.
A l’odeur d’un friand appas,
Rats sont sortis de leur caselle;
Mais ma trappe arrêtant leurs pas,
Les a, par une mort cruelle,
Fait passer de vie à trépas.
[430]Madame, apprenez la nouvelle
De la mort de quatre rats.
Mieux que moi savez qu’ici-bas
N’a pas qui veut fortune telle;
C’est triomphe qu’un pareil cas.
Le fait n’est pas d’une allumelle;
Ainsi donc avec grand soulas,
Madame, apprenez la nouvelle
De la prise de quatre rats.
VERS [Madame de Fleurieu]
[1741-1742, Bibliotheque de Geneve, MS. fr. 231. Publicaton, Boubers édition, Oeuvres mêlées de Rousseau, Londres, 1776, t. VIII; le Pléiade édition, t. II, pp. 1133, 1895. == Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. XIII, p. 430.]
VERS
Pour Madame de FLEURIEU, qui, m’ayant vu dans une assemblée, sans que j’eusse l’honneur d’être connu d’elle, dit à M. L’Intendant de Lyon que je paroissois avoir de l’esprit, & qu’elle le gageroit sur ma seule physionomie.
Déplacé par le sort, trahi par la tendresse,
Mes maux sont comptés par mes jours.
Imprudent quelquefois, persécuté toujours;
Souvent le châtiment surpasse la foiblesse.
O fortune! à ton gré comble-moi de rigueurs,
Mon coeur regrette peu tes frivoles grandeurs,
De tes biens inconstans sans peine il te tient quitte;
Un seul dont je jouis ne dépend point de toi:
La divine FLEURIEU m’a jugé du mérite,
Ma gloire est assurée, & c’est assez pour moi.
VERS [Mademoiselle Th.[?]]
[1741-1742, Bibliothèque de Genève, MS. fr. 231. Boubers édition, Oeuvres mêlées de Rousseau, Londres, 1776, t. VIII.; le Pléiade édition, t. II, pp. 1134, 1895-1896 == Du Peyrou/Moultou 1780-89 quarto édition, t. XIII, p. 431.]
[431] VERS
A Mademoiselle Th. qui ne parloit jamais à l’auteur que de musique.
Sapho, j’entends ta voix brillante
Pousser des sons jusques aux cieux,
Ton chant nous ravit, nous enchante,
Le maure ne chante pas mieux.
Mais quoi! toujours des chants! crois-tu que l’harmonie
Seule ait droit de borner tes soins & tes plaisirs;
Ta voix, en déployant sa douceur infinie,
Veut en vain sur ta bouche arrêter nos desirs:
Tes yeux charmans en inspirent mille autres,
Qui méritoient bien mieux d’occuper tes loisirs;
Mais tu n’es point, dis-tu, sensible à nos soupirs,
Et tes goûts ne sont point les nôtres.
Quel goût trouves-tu donc à de frivoles sons?
Ah! sans tes fiers mépris, sans tes rebuts sauvages,
Cette bouche charmante auroit d’autres usages,
Bien plus délicieux que de vaines chansons.
Trop sensible au plaisir, quoique tu puisses dire,
Parmi de froids accords tu sens peu de douceur,
Mais entre tous les biens que ton ame desire,
En est-il de plus doux que les plaisirs du coeur?
Le mien est délicat, tendre, empressé, fidele,
Fait pour aimer jusqu’au tombeau.
Si du parfait bonheur tu cherches le modele,
Aime-moi seulement & laisse-là Rameau.
FIN.