[JEAN JACQUES ROUSSEAU]

AVIS / REMARQUES QUI M’ONT ÉTÉ FOURNIES

[Du Peyrou/Moultou 1780-1789 quarto édition; t. XIV, pp. 241-273 (1782).]

AVIS

[241] Les Pieces justificatives auxquelles renvoie M. Du Peyrou, ont été publiées dans le tans à la suite de sa lettre. Leur authenticité n’ayant point été contestée alors par les personnes intéressées à le faire, il résulte de leur silence la plus forte preuve de la fidélité & de l’exactitude des citations qui se rapportent à ces titres. On a cru inutile d’en charger ce Supplément. La grande lettre de M. Rousseau écrite à l’occasion de cette tracasserie de Motiers-Travers, le 8 août 1765, a déjà été imprimée dans le Recueil de ses Ecrits. Le lecteur peut recourir au Tome XII. de la Collection, pag. 482 de l’Edition in-4º.

REMARQUES QUI M’ONT ÉTÉ FOURNIES

[242] Mon ami Du Peyrou, faiseur de libelle! lui trompette de calomnies, de faits faux & controuvés! Un menteur, un téméraire qui a la lâcheté, l’ame assez noire pour outrager & persécuter injustement & calomnieusement un homme de bien, attaché à Dieu, à la religion! De grace, qu’avez-vous fait? de quoi s’agit-il? Le libelle est la lettre de Goa, & l’accusateur est M. le Pasteur de Motiers: ah! je respire, le mal n’est pas si grand que je l’avois craint. Je viens de relire avec attention la lettre de Goa, dans laquelle je n’ai trouvé qu’un exposé simple de faits attestés par des titre repectables sans injures, sans qualifications. M. le Pasteur a pris, peut-être, pour une épigramme le beau titre d’homme de Dieu: félicitons-le de cette humilité; s’il commence a s’apprécier il n’y a plus à désespérer de lui. Comment n’a-t-il pas senti combien vous l’avez ménagé en gardant l’anonyme? Nommez-vous, puisqu’il le souhaite. Le tableau intéressera par un singulier contraste. On verra un étranger né en Amérique, homme du mond, doux, modéré, jouissant de l’estime publique, nouveau citoyen, mais indépendant de tout état & libre de toute prévention d’enfance ou de famille, qui s’étayant à chaque pas de preuves irréprochables & des ordres du Gouvernement, prend généreusement la plume en faveur de tous les citoyens, donc les droits étoient violemment attaqués [243] par les vexations exercées contre Rousseau. On verra, dis-je, en opposition un Ministre du Dieu de charité & de paix, répandant les injures les plus grosseries & qui prétend réfuter un ouvrage tout appuyé sur des titres publics, sans en présenter lui-même d’autre que sa propre déclaration. Vous allez lui répondre, sans doute: le public décidera bientôt qui de vous deux est le faiseur de libelle, l’homme faux, le menteur: dès long-tans vos réputations sont faites. En lisant cette prétendue réfutation, j’ai été tenté de faire quelques remarques dont vous userez à vôtre gré: les voici.

Demandez, je vous prie, à M. le Pasteur de Motiers, pourquoi l’édition qu’il vient de faire faire de la lettre de Goa est sous le titre de Neufchâtel?* [*L’Auteur de ces remarques ignore apparemment ce que j’ignorois aussi, mais que je viens de vérifier dans le moment, c’est que les exemplaires débités à Neufchâtel ne portent pas le titre de Neufchâtel, titre réservé, sans doute, à ceux destinés pour l’étranger. Je dois en juger ainsi par mon exemplaire qui m’ayant été fourni de l’Etranger porte le titre de Neufchâtel.] veut-il dire par-là que Neufchâtel & Goa sont synonymes? cela lui plairoit fort, sans doute: ou bien a-t-il voulu par cette petite ruse & à la faveur de ce faux titre, faire croire au public que son écrit aussi a été imprimé à Neufchâtel, & avec permission? Mais tout le monde sait qu’il l’a vainement sollicitée, & qu’il a fallu s’adresser ailleurs.

Demandez-lui encore si, lorsqu’il parle dans sa derniere lettre de la lecture qu’il a faite en Classe de sa brochure, il a dessein d’insinuer que cette compagnie l’approuva? Mais personne n’ignore que la Classe refusa d’y prendre la moindre part & le laissa se faire imprimer pour son compte particulier.

[244]Bien des gens croient que M. le Pasteur de Motiers n’est pas l’auteur de cet écrit dans lequel ils ne voient qu’une satire cruelle contre lui: d’autres bien instruits du petit tripot de Motiers, assurent que l’ouvrage est de lui mais limé, corrigé, augmenté par certain Bateleur, petit personnage assez mal famé. Je suis fort tenté de le croire & je gagerois que le petit homme est l’illustre auquel les dix lettres s’adressent. Il ne sera pas difficile de faire la séparation des métaux: soyez que toutes les vanteries, les éloges de soi-même, les expressions sougueuses, les gros mots sont l’ouvrage du Pasteur, que les fades plaisanteries sont du petit homme. Voilà le partage de l’ouvrage entier.

Cependant si nous en croyons M. le Pasteur,* [*Réfutation, page 157.] il est obligé pour l’honneur de la religion, pour celui de la classe & pour le sien propre de prendre la plume: heureusement voilà son honneur en bonde compagnie: je me serai, dit-il plus bas, une regle d’écrire avec la plus grande modération, si conforme au glorieux caractere que je porte, & à mon caractere personnel: il vous a tenu parole avec toute la modestie de son double caractere: plus bas il ajoute, j’imiterai le divin Maître que je sers qui ne rendoit point outrage pour outrage; ah! mon ami, quelle copie!

C’est-là cependant, l’apôtre de la modération & de la vérité: vous savez que depuis ses tracasseries contre Rousseau, il n’a cessé de porter ses passions en chaire: le scandale en est général parmi les gens sensés: il cherche & réussit, dans la [245] foule ignorante, à exciter les esprits contre Rousseau & contre les quatre estimables anciens qui ont eu: la sagesse de lui résister; il les désigne assez clairement dans ses prônes: averti par ses confreres, repris fortement par ses proches, sa fougue va croissant chaque jour: en voici un trait assez plaisant: M. le Pasteur prêchoit avec chaleur le dimanche 21 juillet, dirigeant comme de coutume sa déclamation contre les objets de son ressentiment; & voulant placer un trait heureux, on reconnoît, dit-il, le méchant à son front; mais auparavant, portant avec véhémence la main sur sa tête, il avoit eu soin de bien enfoncer son chapeau.

Sur l’intéressant chapitre de la vérité qu’il aime tant, qu’il connaît si bien, vous pourrez lui faire plus d’une question: mais avant toutes choses demandez-lui où & en quoi il est professeur? C’est en véracité, apparemment; voici quelques theses qu’il a soutenues à cette occasion. Il assura un jour avec affirmation à M. Petitpierre l’aîné, Pasteur à Neufchâtel, que Rousseau lui avoir remis un certain nombre de passages de l’’Evangile, qui servoient’à justifier l’Emile. M. Petitpierre souhaita passionnément de les voir: ils lui furent promis par le premier courier. & n’arriverent point: à la générale suivante, M. le Pasteur de Motiers s’excusa de son mieux sur ces retards: les couriers négligeans avoient porté le paquet à Besançon, & long-tans égaré il venoit de lui être rendu, mais en quittant Motiers il l’avoit oublié dans son bureau: là-dessus nouvelles sollicitations & nouvelles promesses: au bout de quelques mois, ces passages tant demandés & tant promis ne paroissant point, M. Petitpierre [246] les demanda directement à Rousseau, par une lettre qui existe: celui-ci répondit, qu’il ne savoit ce que c’étoit que ces passages: cette réponse existe aussi.

Priez-le de vous expliquer si c’est par erreur dans son baptistaire ou par la précocité de son esprit, qu’il a été reçu proposant à treize ans, ainsi qu’il l’a dit & répété, il y a quelques semaines, à M. Schol pasteur à Bienne, homme très-respectable & par conséquent homme vrai. Celui-ci surpris du prodige en témoigna son étonnement à plusieurs reprises, mais M. le Pasteur de Motiers lui certifia si bien le fait, que M. Schol l’a cru, le croit & le croira toujours.

Invitez-le à vous faire, par le menu, l’histoire dont régala un matin chez lui, trois militaires, il y a un an: il s’agissoit de jésuites envoyés en Suisse pour d’importantes affaires avec ordre de s’adresser à lui, soit à M * * *. Pasteur a Lausanne comme aux deux coriphées de la réformation. Il vous dira comment l’un de ces jésuites, ou peut-être quelqu’autre, a demeuré à Motiers chez le Pasteur un certain tans: comment & pourquoi il s’en alla: comment Jean, cocher de M. le Pasteur, étant à Paris peu de tans après, vit ce jésuite sur une place en conversation avec un Prince ou tout au moins un Cordon bleu: comment le jésuite appercevant Jean l’appella: comment l’heureux Jean sut accueilli dans Paris par un révérend pere jésuite aux côtés d’un Cordon bleu; les choses intéressantes qu’ils se dirent.... M. le Professeur vous contera tout cela.

Une piece curieuse & qu’il ne vous refusera pas, c’est sa réponse au Roi de Prusse qui l’avoit consulté sur la guerre, [247] ainsi qu’il en fit la confidence à feu Monsieur de Travers; celui-ci qui étoit un homme vrai l’a attesté à des personnes de considération très-vivantes aujourd’hui. Il pourroit encore vous montrer les lettres qu’il a reçues fréquemment des Princes & Princesses de la Maison royale de Prusse, entr’autres de la Princesse Amélie & du fameux Prince Henri, sur lesquelles il a fait des détails intéressans en plus d’une occasion, & à gens qui s’en souviennent très-bien. Rappeliez-lui encore ses modestes confidences à notre ami d’Escherny, quand celui-ci passa l’hiver à Motiers il y a deux ans: comment il lui conta que le Prince Royal de Danemarck & le Duc de Modene passant autrefois par Neufchâtel n’y voulurent voir que lui, & s’y arrêterent deux fois vingt-quatre heures pour jouir de son agréable entretien; comment il lui fit entendre assez clairement, que lui Professeur entroit pour la bonne moitié dans la curiosité de cette foule d’étrangers qui viennent de toutes parts témoigner leur estime à Rousseau: comment il lui assura que Rousseau en le nommant son exécuteur testamentaire, lui avoit confié l’histoire de sa vie en le priant d’y ajouter un supplément, & de ne la publier qu’après sa mort; & comment par égard pour Rousseau, il attendoit à ce tems-là de faire paroître une réfutation de l’Emile & du Contrat Social en dix volumes in-8?. &c. Demandez-lui qu’il ajoute à tout cela la liste des grands de la terre avec lesquels il est en correspondance, & vous verrez qu’un tel homme méritoit bien d’être proposant à treize ans.

Que dites-vous de sa lettre à son très-honoré frère de Geneve,* [*Page 161.] qui commence si plaisamment par ces mots: Je ne suis [248] pas à ignorer les sentimens d’amitié & de bienveillance que vous avec pour moi. Ce contre-sens a bien l’air d’une correction du petit homme, ou peut-être de l’huissier qui publia la proscription des Lettres de la Montagne. Si Rousseau vouloit jaser sur cette lettre, il auroit d’excellentes, choses à vous dire. N’en doutez pas, la lettre est du Pasteur; vous y voyez qu’il n’est pas assez présomptueux que de priser ses ouvrages, notamment son sermon du jeûne, qui cependant lui a paru avoir été goûté, & dont il offre modestement une copie à son cher frere, qui paroît ne pas s’en soucier beaucoup, essayez de lui en demander une & je garantis votre paix faite. Enchanté de sa belle lettre, il crie au bout de la carriere: eh bien! suis-je un intolérant & un persécuteur? & là-dessus il étale toute sa charité, c’est-à-dire, celle que Saint Paul prêchoit aux Corinthiens. Il est très-surprenant, en effet, que M. le Pasteur Motiers n’ait pas persécuté Rousseau précisément dans le tems qu’il en parloit par-tout lui-même comme du meilleur chrétien de sa paroisse: vingt personnes & de mise attesteront ce propos du Pasteur, s’il le souhaite.

Sans contredit, c’est le petit homme qui a fourré* [*Page 174.] la fade réverbération de votre jolie note sur le très-bon propos d’une Dame; mais il n’y a que M. le Pasteur qui puisse attester une promesse de ne plus écrire que certainement Rousseau ne lui fit jamais: c’est apparemment sur cette promesse qu’il l’admit à la communion; cependant oubliant bientôt l’un & l’autre, cet engagement formel, Rousseau ne tarda pas à [249] écrire sa lettre à l’Archevêque de Paris, & M. le Pasteur de Motiers fit à tout le monde l’éloge de ce nouvel écrit.

Avez-vous fait attention à. la note (pag. 172)? J’avoue, dit le véridique Pasteur, que je fus peu reconnaissait de l’exception que M. Rousseau a bien voulu faire de moi, &c. voilà sa réponse au propos de votre Dame; vous voyez que cette réponse vaut mieux que celle du petit homme. A cette occasion demandez à M. le Pasteur si les Lettres de la Montagne le scandaliserent d’abord, comme de raison? s’il le témoigna d’abord à Rousseau? s’il le reprit, le censura, comme juste, lui qui étoit son Pasteur? comment il vécut avec lui dès la publication de ce livre & long-tems après? demandez aussi tout cela à Rousseau & vous apprendrez des détails qui vous amuseront.

Je ne puis m’empêcher de placer ici une circonstance dont le simple récit seroit à mon gré, la meilleure réponse à faire à tout l’écrit de M. le Pasteur de Motiers. Vous n’ignorez pas que celui-ci souhaita & proposa sans succès d’avoir part à l’édition générale de tous les ouvrages de Rousseau, projettée dans ce pays, & dans laquelle les Lettres de la Montagne étoient comprises. N’est-il pas plaisant que le Pasteur qui a conduit avec tant de zele la barque qui devoit noyer Rousseau, comme auteur de livres contraires à notre sainte Religion, & qui vient de faire imprimer de si belles choses pour la défense de la vérité, soit précisément le même qui peu de mois auparavant souhaita, vu que l’affaire étoit bonne, d’être un des éditeurs d’une nouvelle, nombreuse & belle édition de ces mêmes Livres contraires à notre sainte Religion! Imaginez pour un [250] moment ce Pasteur agréé par les Associés, la réimpression se faisant avec succès, & l’homme de Dieu voyant mille bons louis de profit net pour sa part, bataillant avec le même zele en faveur de Rousseau contre les Lamas de ce pays, de Geneve & des environs.

Dites bien à M. le Pasteur, que cette Dame très-sensée qui lui parla naturellement* [*Pag. 174 à la note.] avoit sort raison, & que c’étoit certainement Rousseau qui avoit perdu la tête en le jugeant digne de l’envoi flatteur dont il l’honoroit: depuis long-tems il ne devoit plus s’y tromper.

II est bon de vous prévenir que lorsque M. le Pasteur de Motiers parle dans ses lettres des notables de sa paroisse, des bonnes ames de son église, en un mot de ses partisans, il s’agit d’un petit nombre de caillettes mâles & femelles, compris le petit homme, lesquels ont de fréquentes conférences sous la présidence de M. le Pasteur: vous jugez bien que Rousseau & les quatre anciens sont traités avec toute la charité apostolique dans ces conférences-là.

Une Compagnie de défenseurs de la vérité (parmi lesquels se trouve nécessairement M. le Pasteur de Motiers, car que seroit la vérité sans lui?) qui doivent se montrer pour la cause du Seigneur Jésus,* [*Pag. 175.] peut faire de très-humbles remontrances au Gouvernement sur des livres contraires à la vérité & à la religion, mais cette compagnie ne peut rien faire de plus, c’est là toute sa jurisdiction; dites bien cela à votre respondant; mais demandez-lui en même tems comment après [251] les remontrances de la Classe au sujet de l’Emile & la proscription de ce livre à Neufchâtel, comment lui défenseur de la vérité & de la cause du Seigneur Jésus, il admit à la communion du Seigneur Jésus, l’Auteur de ce livre déclaré impie, abominable, destructeur de la religion du Seigneur Jésus; comment il se déclara au contraire le défenseur du livre & de l’Auteur, en Classe, dans son Consistoire & en public; comment tout à coup la chance a tourné & quels ont été les ressorts incompréhensibles de ce changement? Cependant M. le Pasteur de Motiers vous dit de très-bonne soi,* [*Pag. 176.] tandis que M. Rousseau n’a point troublé l’église, la Compagnie s’est tue; je n’ai rien dit aux de mon côté. Cet étrange propos est certainement du petit homme, puisque nous venons de voir des remontrances faites par la Classe en 1762 au sujet de l’Emile, & ce livre proscrit par le Magistrat de Neufchâtel. Ce seroit ici la place de dire à M. le Pasteur de Motiers que le trouble de son église, s’il y en a, vient de lui, de lui seul: il devoit pour les Lettres de la Montagne, agir comme il le fit pour l’Emile, puisque le premier de ces livres n’est que l’explication adoucie justificative du second; ou bien il devoit penser lors de l’Emile comme il l’a fait à l’égard des Lettres de la Montagne: que lui donc & ses confreres qui pensent comme lui soient bien convaincus, que les troubles qui n’ont cessé de désoler l’église chrétienne sont l’effet nécessaire d’un prétendu zele qui change selon les circonstances, & plus encore des passions fatales attachées à leur état; que l’église verra ces troubles se [252] perpétuer aussi long-tems qu’il y aura sur la terre des théologiens qui ne seront pas les maîtres de tout.

Remarquez-vous comment à chaque pas M. le Pasteur de Motiers tâche de greffer ses intérêts sur ceux de la Classe? Il aimeroit à faire croire qu’il y a une alliance offensive & défensive entr’elle & lui: assurez-le très-positivement, qu’il combat gratuitement pour la Classe; qu’elle n’a point avoué son écrit qu’elle ne l’avouera jamais lui pour son défenseur, & qu’elle est trop sage pour prendre la moindre part à sa mauvaise querelle.

On vous renvoie à l’examen des régistres du Conseil d’Etat, pour en tirer un certificat de la modération de la vénérable Classe, par laquelle elle s’est distinguée en tout tems.* [*Pag. 175.] Je suis tenté de vous inviter à travailler au diplôme de cette modération, & de feuilleter pour cela les régistres du Gouvernement aux années 1724, 1726, & 1748, 1749, 1755, 1758, 1760.

C’est vraisemblablement le petit homme qui vous renvoie si joliment la bale, à propos de la plaisante méprise de l’Huissier:* [*Pag. 176.] il faut avouer que l’honneur du Magistrat de Neufchâtel que vous n’attaquâtes jamais, est défendu par main de maître: car pour M. le Pasteur, il n’est pas probable qu’il cherche à faire sa cour à un Magistrat qui n’a pas seulement voulu lire son manuscrit.

Au moment que vous devez le moins vous y attendre, le débonnaire Pasteur a l’ame si bonne qu’il vous pardonne sincérement;* [*Pag. 176.] [253] vous ne pouvez pas en douter après avoir lu les lettres; mais il a oublié d’ajouter que c’est pour l’amour du Seigneur Jésus son divin maître, qu’il imite en ne rendant point outrage pour outrage, comme il l’assuroit dans sa premiere lettre.

Avez-vous compris le jargon du petit homme* [*Pag. 177.] sur les mysteres ou les secrets du sanctuaire, &c.? Il n’y en a point, dit-il, quand il est question de l’Évangile & de l’édification de l’église, & cependant depuis la résolution, de la Classe, M. le Pasteur de Motiers, ami & défenseur de Rousseau, cesse tout-à-coup de le voir, il ne lui fait pas même savoir tout simplement par un oui, ou un non, quel étoit le sort de son offre à la Classe, dont il devoir tout au moins lui rendre le papier, puisqu’il s’étoit chargée de le présenter en sorte que sans la cuisiniere de M. le Pasteur, Rousseau auroit ignoré jusqu’au moment de la citation, ce que l’homme saint lui destinoit. Mais à propos de mystere & pour être bien persuadé qu’il n’y en a point dans le sanctuaire, demandez, je vous prie, à M. le Pasteur de Motiers en lui promettant le secret, une copie fidelle d’un manuscrit fameux qui garde soigneusement l’incognito depuis sa naissance, & qui contient la discipline ou les constitutions du sanctuaire: il est bon de vous dire que dans plus d’une occasion la Classe a tenté de faire usage de cette discipline ténébreuse contre des citoyens & que ces tentatives ont toujours été repoussées par le Gouvernement, qui plus d’une fois a sommé les ministres de montrer, de publier même ce [254] titre, muni, sans doute, de l’approbation essentiellement nécessaire du Souverain; ils répondirent qu’ils le produiroient, & cependant il n’a jamais paru; ils le produiront moins que jamais, aujourd’hui que le sort des constitutions des Jésuites doit les rendre plus circonspects à montrer les leurs. Notez, s’il vous plaît, que les constitutions des Jésuites ne lient que les membres de leur société, & que celles de nos ministres s’étendent sur les citoyens d’un Etat, où le Souverain lui-même ne peut imposer de loix que de concert avec eux; croiriez-vous que ces Messieurs ont osé prétendre qu’un citoyen excommunié par eux étoit dès-là censé mort civilement; qu’un citoyen qui refusoit d’être ancien d’église, devoit être proclamé au prône comme indigne d’occuper aucun emploi civil, &c.? le tout ex cathedrâ. Vous trouverez à la Chancellerie les détails de ces faits & leur date.

Le prétendu droit d’inspection sur la foi si cher à M. le Pasteur de Motiers, si justement contesté & dont le nom seul révolte, lui porte si violemment à la tête, que par quiproquo il s’en prend à vous, tandis que c’est le Gouvernement qui par un arrêt ad hoc a déclaré ce droit nul, de toute nullité. Priez le au nom de tous les citoyens, de vous indiquer les constitutions ecclésiastiques qui donnent au Clergé le droit d’inspection sur la foi, c’est-à-dire, sur les sentimens de chaque citoyen. Les constitutions ecclésiastiques de cet Etat sont entre les mains de tout le monde; c’est un grand nom donné à un petit objet; elles ont été dans tous les tems l’ouvrage des seuls gens du Prince, sans que les gens d’église y ayent jamais eu la moindre part; il y a même aujourd’hui une commission nommée [255] par le Gouvernement, & composée uniquement de Conseillers d’Etat pour travailler à la réforme de ces constitutions & comme dans celles-ci on ne trouve rien qui ait trait au droit d’inspection sur la foi des citoyens que M. le Pasteur de Motiers voudroit attribuer à la Classe,* [*Page 177.] demandez-lui si par constitutions ecclésiastiques il n’entend point, peut-être, quelques statuts ténébreux compilés sourdement par la compagnie des Pasteurs, ou par le colloque du Val-de-Travers, & assurez-le que de tels statuts ne seront pas plus loi dans ce pays, que les constitutions des Jésuites ne la sont dans le Royaume de France. La plupart de nos ministres sont trop sages pour s’imaginer qu’on les laissera tranquillement disposer entr’eux des franchises des citoyens. Chaque fois qu’ils l’oseront tenter on saura s’en tenir aux statuts du Maître, & c’est avec lui que M. le Pasteur de Motiers courra le risque d’avoir à faire quand il voudra s’arroger une autorité qui constitue précisément l’affreuse Inquisition: c’est apparemment le petit homme qui a voulu la définir;* [*Page 178.] car on ne sait ce qu’il veut dire; l’Inquisition ne se borne point aux faits cachés; au contraire, plus ils sont publics & plus elle s’en mêle.

Sur l’histoire que l’auteur fait (pag. 178 à 179.) il est juste, comme il le souhaite lui-même, d’en appeller au témoignage de Rousseau; vous ne seriez pas mal de demander aussi celui de M. Guyenet Lieutenant du Val-de-Travers.

C’est apparemment le petit homme qui a fourré ridiculement en note (page 181.) on ne donne pas ainsi la loi à [256] ses supérieurs, en parlant de la Classe; il imagine que les ministres: ont ici l’autorité qu’il avoit, lui, sur les histrions de la H * * *; il se trompe, & l’on ne nous méne pas comme des baladins. La Classe connaît trop bien l’heureuse constitution de l’Etat, pour prétendre être la supérieure du moindre des citoyens; elle n’a pas la plus légere autorité, hormis sur ses propres membres, qui portent quelquefois la peine de son pouvoir. La compagnie des Pasteurs est si justement subordonnée dans ce pays, & comme cela, convient à de modestes ministres dont l’unique métier doit être de prêcher, par leur exemple, sur-tout, le renoncement au monde, le désintéressement, l’obéissance & l’humilité, qu’elle n’étoit pas même un Corps de l’Etat: si elle en est un aujourd’hui, c’est par une intrusion très-moderne: tout le monde sait qu’au premier traité d’association des Corps de l’Etat, à la fin du siecle passé, la Classe pria très-humblement qu’on l’admit à la signature de l’acte d’union; que ses députés signerent modestement à la queue de tous les autres; voilà son unique titre: mais à la premiere occasion les ministres s’emparerent, selon l’usage, des premieres places & signerent à la tête de tous les Corps. Les consistoires sont les seuls supérieurs spirituels; leur autorité a les bornes prescrites dans l’arrêt du Gouvernement que vous avez rapporté & cette autorité est toute subordonnée à celle de la Seigneurie.

Avez-vous apperçu de la fermentation à Neufchâtel au sujet des Lettres de la Montagne? M. le Pasteur de Motiers y en trouva beaucoup; il le dit, on ne peut pas en douter: cependant nous attesterons vous & moi avec tous nos amis, qu’il n’y en eut pas même l’apparence, parmi la bonne compagnie; [257] nous avons vu ce livre recherché, dévoré & faisant le sujet des entretiens ordinaires: on remarqua même, à cette occasion, que si quelques personnes s’échaufferent contre ce livre, ce furent précisément celles qui ne l’avoient pas lu: la même chose arriva lors de l’Emile.

Le langage que M. le Pasteur de Motiers prête à son correspondant anonyme, (pag. 183.) n’est-il pas traduit mot à mot du moine Bernard, prêchant la croisade. Comptez que l’anonyme est le petit homme, car quand il est en prison chez des moines, il leur fait aussi des sermons à douze sous piece, le tout pour se désennuyer.

Remarquez, je vous prie, que M. le Pasteur* [*Page 184.] ne nie pas que la Classe fulmina contre Rousseau une sentence d’excommunication, il se contente seulement de dire, je ne sais où l’Auteur a puisé ce qu’il ose avancer: cette maniere de paroître nier une chose que l’on sait être véritable, sans cependant oser la nier expressément, se trouve dans les élémens de Loyola & dans des décisions d’Auteurs graves; mais j’ignorois qu’elle convînt à un Pasteur, à un défenseur de la vérité. Il ajoute un moment après, que la Classe connaît les bornes de sa jurisdiction spirituelle. La jurisdiction spirituelle de la Classe! Dieu nous soit en aide! Il n’y a que le petit homme qui ait pu fabriquer une pareille jurisdiction, car M. le Pasteur de Motiers sait très-bien que la Classe n’a pas la plus petite jurisdiction, ni spirituelle, ni temporelle sur les citoyens. Qu’elle dispose de ses membres, qu’elle les dirige à son gré, peu nous importe; ce [258] mal n’est que pour elle & pour eux; & dites à M. le Pasteur que si des consistoires ont demandé des dire&ions à la Classe, ce n’est que par égarement, puisqu’ils ne doivent en recevoir que du Gouvernement duquel ils dépendent uniquement, comme l’arrêt du 2 avril le leur apprend si bien.

Il est faux, absolument faux que la Classe prit en objet la lettre anonyme, s’écrie vigoureusement M. le Pasteur: pour le coup la négative est formelle & bien nourrie, il ne lui manque qu’un peu d’authenticité. Demandez à l’Auteur ce qu’il entend par prendre en objet? Vous n’avez pas dit que la Classe prit en objet, mais simplement que la Classe fort sagement pour elle, supprima cette sentence irréguliere sur la lettre anonyme qui lui fut adressée, vraisemblablement par un de ses membres;* [*Page 132.] ce qui veut dire que cette lettre produisit l’heureux effet d’empêcher un faux pas, & rien n’est plus vrai. On ne délibéra pas sur son contenu, sans doute, mais fut-elle présentée à l’assemblée? Etoit-elle connue des ministres opinans? Fut-elle lue soit tout haut, soit tout bas? Voilà de quoi il s’agit: vous voyez sur quoi roule la grosse négative de M. le Pasteur. Vous pourriez ajouter que c’est une fatalité que la Classe ait été détournée de sa premiere résolution par cette lettre, sans laquelle le désordre auroit été si grand & les loix fondamentales tellement blessées, que le Souverain aux cris des Corps & de tous les citoyens auroit apporté à ce mal extrême un prompt remede, & qu’on auroit sans doute, saisi cette occasion de rétablir les choses dans leur [259] premier état; chacun auroit été remis à sa place, & certainement la Classe n’auroit pas gagné à cet arrangement.

Si M. le Pasteur de Motiers n’avoit pas espéré d’acquérir deux voix en consistoire, auroit-il choit l’instant de cette tracasserie pour l’élection de deux nouveaux anciens, sur l’obéissance aveugle & toute neuve desquels il avoir droit de compter: il aura pour agréable qu’on lui fasse remarquer combien sa charité si étendue en toutes occasions, fut courte en celle-ci à l’égard de ses deux élus, auxquels il imposoit ainsi pour leur coup d’essai, la tâche de juger du christianisme de Rousseau & de le condamner sur la parole de leur conducteur spirituel. Il auroit pu nous conter lui-même certains détails qui auroient jetté un grand jour sur les menées dont il parle, & desquelles il seroit plus prudent à lui de ne pas parler du tout. Personne mieux que lui par exemple, ne pouvoir nous apprendre qu’il invita pressamment tous les anciens à se rendre de très-bonne heure chez lui, le dimanche 24 mai avant le sermon du matin, à cause des choses importantes qu’il avoir à leur communiquer; que là il les endoctrina sans mesure pour les indisposer contre Rousseau; que l’heure du sermon fut retardée par la longueur d’un enseignement d’autant moins sec qu’il fut amplement arrosé; que pour prémunir les anciens contre la vigueur avec laquelle il savoit que M. le Châtelain défendroit Rousseau contre l’oppression, il leur dit que ce Magistrat étoit cruellement embarrassé par une lettre qu’il avoir reçue de Mylord en faveur de Rousseau, voulant leur insinuer par-là, que M. le Châtelain n’agiroit que par déférence pour Mylord & contre ses propres sentimens; à quoi il ajouta [260] pour achever de les encourager à jouer des poings, que pour lui rien ne pouvoit le détourner de son dessein, dût-il perdre sa place & se voir séparer de son cher troupeau, &c. Les débris indiscrets des bouteilles & des verres étoient encore sur la table, lorsqu’au sortir du sermon M. le Châtelain avec tout le consistoire, s’assembla dans la maison du Pasteur: celui-ci fit des merveilles contre Rousseau dans cette assemblée; il perora avec une chaleur qu’il venoit d’entretenir. Il est bon de vous faire remarquer ici que lorsque M. le Pasteur se pavane d’avoir demandé aux anciens, sous les yeux de l’officier du Prince, si jamais il les avoit gênés dans leurs opinions,* [*Page 190.] qu’en effet son fidelle ancien Clerc, lui répondit mille douceurs; mais il est plus vrai encore que M. le Justicier Bezencenet l’un des anciens, lui repliqua, qu’après en avoir bien usé jusqu’à présent avec eux, il seroit fâcheux qu’en cette occasion il changeât de maxime. On comprend que ce dernier compliment devoit naturellement échapper la mémoire de M. le Pasteur.

Encore un écart du petit homme dans la page suivante: selon lui vous acculez faussement M. le Pasteur d’avoir d en consistoire que Rousseau est l’Antechrist: ce petit homme-là ne sait pas lire apparemment, car pourquoi mentiroit-il lui même avec si peu d’adresse pour se donner le plaisir de vous accuser de mensonge? En parlant des anciens vous dites simplement, on leur répéta que J. J. Rousseau étoit l’Antechrist,* [*Page 191.] mais vous ne dites pas un mot du consistoire, [261] vous ne parlez point de M. le Pasteur, vous ne dites pas même qui fut celui qui tint ce discours: il est cependant très-vrai qu’on leur a dit cela, tout comme on leur annonça les démarches prochaines des corps de l’Etat & la perte assurée de nos alliances Helvétiques, si on ne condamnoit pas Rousseau. Vous pourriez dans le besoin lui soutenir en face, que c’est lui-même qui a tenu ce joli propos le dimanche 24 mai 1765, entre huit & neuf heures du matin, en présence du diacre & des six anciens; & pour enrichir vos preuves par une circonstance de poids, vous pourriez ajouter qu’il tenoit dans cet instant une razade de vin d’absynthe, & que saisi d’une sainte horreur en prononçant le mot d’Antechrist, il en répandit une partie sur son sacré pourpoint. Mais enfin comme tous ces propos sont extravagans & mensongers, il n’y a qu’à les mettre sur le compte du petit homme.

Seroit-ce M. le Pasteur lui-même, qui dit* [*Page 191.] l’Auteur réussit très-bien à faire rire & à se déshonorer? Quand vous rapportez le bruit semé au Val-de-Travers, que Rousseau dans son dernier ouvrage disoit que les femmes n’ont point d’ame; répétez lui que dans les villages de Travers, Couvet, Motiers, Boveresse, Fleurier on ne parloit que de cela; cent personnes dans le quartier l’attesteront. Vous avez donc dit la vérité, & c’est-la ce que M. le Pasteur appelle se déshonorer? aussi personne ne soigne son honneur mieux que lui.

Au premier coup-d’oeil la septieme lettre paroît toute du petit homme; c’est une déclamation qui sent furieusement le [262] tréteau: cependant plusieurs traits décélent M. le Pasteur dites-lui, que si Rousseau a pensé à quitter Motiers dans le tems de ses liaisons avec lui, il n’y pense plus aujourd’hui que ces liaisons sont rompues.* [*Voyez là-dessus la lettre en post-scriptum ci-après.] Il jette les hauts cris sur votre témérité à l’accuser d’avoir annoncé l’excommunication future de Rousseau; remarquez qu’il ne nie pas, & qu’au de ses expressions favorites calomnie, fait faux, il se borne à vous taxer de témérité; je crains que quand il s’agira de relever ses discours plus qu’indiscrets, il ne trouve désormais bien des téméraires: il revient encore aux constitutions ecclésiastiques dont il s’approprie la manutention: ne cessez pas de lui répéter que les ministres ne sont que les humbles serviteurs de ces constitutions: que c’est au Prince & à son Conseil d’Etat à veiller à leur conservation, & à châtier les Pasteurs qui oseront y manquer en voulant s’arroger en véritables inquisiteurs, le droit d’inspection sur la foi & par-là même sur la liberté des citoyens. S’il étoit permis de taxer de témérité un révérend Pasteur, à son exemple, on appelleroit celui de Motiers téméraire au premier chef, d’oser soutenir hardiment & en séditieux ce prétendu droit; au mépris des ordres sacrés d’un Souverain Auguste & respectable à tant de titres; au mépris de la part intéressante que prend à cette affaire Mylord Maréchal notre illustre Gouverneur; au mépris enfin, d’une déclaration toute fraîche du Gouvernement qui réduit en poudre cette affreuse prétention, au nom seul de laquelle l’ame de tout citoyen se souleve avec frémissement; [263] mais on ne perd pas ainsi le respect à un ambassadeur du Seigneur Jésus, & il faut se contenter de le renvoyer aux instructions de son divin Maître, qui lui ordonne assez expressément d’être soumis aux Puissances supérieures.

Vous avez vu* [*Page 193.] un trait qu’on lit & qu’on relit encore avec la même surprise: en parlant des constitutions de l’Etat, l’Auteur dit: Dieu me garde d’y porter jamais atteinte, elles me sont trop précieuses mais n’y a-t-il pas aussi des constitutions ecclésiastiques que mon état m’oblige à soutenir? Ce mais n’y a-t-il pas aussi est en effet le langage d’un vrai patriote, c’est-à-dire, que lorsque vous réclamez les constitutions de l’Etat en faveur des citoyens, M. le Pasteur de Motiers réclame les constitutions ecclésiastique pour lui & ses pairs; voilà une opposition assez formelle & cependant il ajoute avec sa logique ordinaire, que les constitutions civiles & les constitutions ecclésiastiques tendent de concert au bien de la société & au maintien de la religion. Demandez-lui encore ici, ce qu’il entend par constitutions ecclésiastiques que son état l’oblige à soutenir, distinctes des constitutions de l’Etat, & qu’il place à l’opposite en façon d’équilibre par son mais n’y a-t-il pas. Il ne peut pas être question des constitutions ecclésiastiques connues de chacun, & que M. le Pasteur de Motiers n’est pas plus appelle à soutenir que le dernier des citoyens, vu que ce soin est donné aux seuls Châtelains & Maires ou à leurs Lieutenans, par les termes mêmes de ces constitutions; comptez qu’il s’agit donc ici de constitutions [264] secretes que nous ignorons, & je soupçonne que ce n’est autre chose que la discipline olographe & le serment à la Classe; ce sont des pieces qu’il faut avoir dans votre sac & qui rendront l’énigme claire. Ce soupçon est fortifié par la réponse catégorique que fit dernièrement M. le diacre losqu’on lui signifia l’arrêt du Conseil d’Etat, par lequel il lui est ordonné de catéchiser tous les quinze jours dans la chapelle Boveresse, sa réponse fut qu’il respectoit infiniment les ordres du Gouvernement, mais qu’il étoit obligé d’obéir à la Classe; ce diacre là mérite d’être bientôt Pasteur. Voilà donc l’autorité Souveraine qui a pour rivale celle de la Classe, & l’institut d’Ignace qui prend racine parmi nous. Vous voyez que le général des Jésuites étoit bien instruit du caractere personnel de M. le Pasteur de Motiers, lorsqu’il lui adressa il y a quelque tems, les Missionnaires dont je vous ai parlé; & qu’il est très-probable, comme on l’allure, que M. le Pasteur déjà membre honoraire étranger de la société, qui a obtenu la même faveur pour M. le diacre, ne tardera pas à être fait provincial de nos contrées. Si désormais il leur arrive encore de faire face au Souverain on les excuser sans doute, puisqu’ils doivent obéir à l’institut de la compagnie des Pasteurs, & à celui de la compagnie de Jésus plutôt qu’à Dieu & au Prince.

A la fin de sa capucinade* [*Page 194.] il dit: il ne faut plus de Pasteurs, plus de consistoire, plus de culte; répondez-lui qu’il faut vraiment de tout cela, mais qu’il faut sur-tout des [265] Pasteurs véridiques, justes, doux, modérés, humains, sobres, continens & prêchans la vertu par leurs mœurs. Il ajoute, il n’est pourtant question dans les consistoires, ni de feu, ni de bûchers; ni d’Auto-dà-fé: demandez-lui s’il a oublié les scandaleux Auto-dà-fé que nos peres ont eu la patience de souffrir quatre sois l’an dans le consistoire seigneurial du Val-de-Travers, & que le Gouvernement excité enfin par les abus crians, abolit sagement & pour jamais par un arrêt vigoureux du 18 novembre 1758, auquel concoururent deux conseillers d’État du nom de Montmollin, mais qui n’ont point dégénéré, eux, de leurs aïeux dont les noms respectables occupent les premieres places dans nos fastes. C’étoit à la renaissance de tels Auto-dà-fé que M. le Pasteur de Motiers travailloit avec tant de zele dans sort consistoire, & dont Rousseau devoit-être la premiere victime. Il paroît que M. le Pasteur n’entend pas l’Espagnol; dites-lui qu’Auto-dà-fé & inspection sur la foi ont plus de rapport qu’il ne le pense.

Sur le récit qu’il sait à sa façon, pages 196 & 197, opposez hardiment le vôtre tiré mot à mot de la relation de M. le Châtelain au Gouvernement, & si les faits sont déguisés, c’est avec l’homme du Prince que l’homme de Dieu peut démêler cette fusée; mais conseillez-lui de se pourvoir alors de titres plus probans que sa propre déclaration.

Pour toute réponse à la page 195, vous devriez l’inviter à la relire lui-même avec attention; si cela ne suffit pas, demandez-lui si l’Emile n’étoit pas un écrit public répandu dans tout l’univers, s’il n’étoit pas une action, &c.? Et [266] si après avoir admis avec transport Rousseau la communion après cette action, il pouvoit, sans se mettre en spectacle, s’acharner ainsi à l’excommunier après l’action des l’action des Lettres de la Montagne.

Rien ne m’a plus surpris dans cette brochure, que d’y voir M. le Pasteur de Motiers assez courageux pour entreprendre de justifier son étrange prétention d’une double voix en consistoire pour opérer la perte d’un homme, & de quel homme! soyez sûr que le petit homme a travaillé seul tout cet article. Quel galimathias, pour prouver qu’une voix prépondérante n’est pas double; qu’une premiere voix & une seconde voix ne sont pas deux voix! En vérité ce petit homme mériteroit le fouet par le régent de la paroisse, pour avoir fait imprimer de pareilles sornettes à l’ombre du glorieux caractere de M. le Pasteur du lieu, en s’appuyant de la déclaration du maréchal-ferrant de Motiers le plus vieux des anciens, tandis que quatre autres anciens avec M. le Châtelain, soutenus d’un arrêt du Gouvernement déclarent contraire. Il est bon de remarquer ici que le Pasteur comme président au consistoire, peut opiner tout à son aise, mais que sa voix ne doit être comptée que dans le seul cas d’égalité dans les suffrages des autres assistans; son avis compté pour rien jusqu’àlors, devient une voix qui fait pencher la balance & qu’on appelle prépondérante; tout autre usage est contraire à l’ordre & à nos loix: or, dans ce cas-ci voyons comment M. le Pasteur de Motiers a procédé. Les suffrages du diacre, du vieux ancien Clerc & du jeune ancien Jeanrenaud, au nombre de trois excommunient Rousseau; M. le Châtelain [267] avec les trois anciens, Bezencenet, Barrelet & Jeanrenaud l’ainé, au nombre de quatre l’absolvent; il est clair que celui-ci eut quatre suffrages contre trois; il est clair encore que le Pasteur n’étoit pas appelle à donner son suffrage, moins encore à prétendre qu’il fût compté, puisqu’il n’y avoir pas égalité dans le partage des voix; mais il est plus clair encore que quand le Pasteur joignant son suffrage à trois autres, a prétendu l’emporter sur quatre, il vouloir s’attribuer deux voix, vu que trois plus deux sont cinq, & qu’il n’y avoir que cinq qui pût l’emporter sur quatre.

Si vous deviez répondre ici à M. le Pasteur, vous lui demanderiez si les loix de la plus commune délicatesse lui permettoient d’user du droit de voix prépondérante

(supposé qu’il existât), pour écraser un homme vertueux, qu’il avoir recherché, prôné, admis après un ouvrage moins indifférent que celui pour lequel on l’attaque? Si cette délicatesse approuvoit son véhément & très-long discours en consistoire contre Rousseau, & la maniere décidée dont il voulut s’emparer de la prépondérance pour parvenir à le condamner. Voyez la bigarrure de son récit avec celui de M. le Châtelain.

Qui de vous ou de lui mérite le plus de créance sur son reproche aux quatre anciens, de n’avoir pas écouté la voix de leur conducteur spirituel, & sur la très-bonne réponse des premiers?* [*Page 197.] Vous offrez pour garant M. le Châtelain du Val-de-Travers & quatre anciens: M. le Pasteur ne présente, selon sa coutume, que sa propre déclaration; il prétendra, [268] peut-être, qu’elle est prépondérante: répondez-lui que lors même qu’elle seroit soutenue de celle de son diacre, à peine la compteroit-on pour une.

Levez le masque homme de ténèbres, audacieux imposteur, c’est M. le Pasteur de Motiers, c’est un conducteur spirituel qui l’ordonne: un ange ne tiendroit pas contre vos noirceurs,* [*Page 201.] preuve de cela, c’est qu’il ne peut y tenir lui-même; il sent que sa tête s’échauffe; il ne s’est donc pas apperçu qu’elle étoit déjà brûlante au début de sa premiere Lettre? Quoi qu’il en soit, il faut obéir, mon cher Du Peyrou, à une telle sommation & vous direz en tout respect à ce bon. Pasteur, que les trois mots dont il se plaint tant, auri sacra fames, lui vont être expliqués de reste par ces trois-ci, Prébende, Mylord, Rousseau: s’il souhaite un plus grand détail, promettez-lui de le faire inséra dans la gazette pour faire paroli à l’annonce modeste & bien dite du 31 juillet, où tout jusqu’au mot d’indisconvenance, décelé le petit homme ou les éditeurs du journal helvétique.

Les quatre anciens méritent compliment de partager ave vous les terribles effets du courroux pastoral; ils ne pouvoient s’honorer mieux & plus surement; s’ils ont perdu les bonnes graces de leur conducteur spirituel en n’écoutant pas sa voix, ils ont acquis en échange le suffrage des honnêtes-gens: ces deux biens ne sont pas faits pour aller ensemble: leur sage conduite a mérité les éloges & l’approbation publique du Gouvernement, qui leur en a donné des marques flatteuses dans ses [269] ordres à M. le Châtelain du Val-de-Travers. On comprend qu’il y a en effet là de quoi rire,* [*Page 206.] & que M., le Pasteur en a ri lui-même d’autant plus volontiers, que dans toute cette affaire les rieurs ont toujours été de son côté; mais il vaut mieux, dit-il, tirer le rideau sur cette scene: il auroit fait mieux encore de le tirer sur toute la piece. S’il n’étoit retenu par des raisons de prudence, il auroit bien des choses à dire sur les menées de Motiers & Boveresse.* [*Ibidèm à la note.] Cet acte de prudence est assurément fort naturel de sa part. Imitez-le pour lui complaire, & bornez-vous à lui dire que des amis de Rousseau s’étant heureusement rencontrés à Motiers lors de sa citation au consistoire, s’entretinrent avec quelques anciens étrangement prévenus, mais dont les ames droites qui ne cherchoient que la lumiere, saisirent bientôt la vérité qu’on leur avoir si cruellement déguisée. Si M. le Pasteur souhaite un peu de détail sur ces menées, déclarez-lui qu’on est en état de le contenter.

Que M. le Pasteur de Motiers se loue dévotement & sans cesse; qu’il loue le maréchal-ferrant de la Paroisse & son collegue, ses deux fideles & tant dévoués anciens; mais qu’à de tels éloges il unisse celui de M. le diacre qui est un digne & fidele ministre de l’Évangile;* [*Page 206.] puisqu’il désobéit au Souverain pour obéir à la Classe, & qui remplit avec assiduité, avec zele & avec exactitude toutes les fonctions auxquelles il est tenu,* [*Ibidem.] vu qu’il: ne fait pas les catéchismes qu’il doit à la [270] chapelle de Boveresse & pour lesquels il est payé, du reste un honnête homme, un homme de bien; le trait n’est pas supportable & c’est mal payer sort excessive complaisance: si quelque chose peut consoler ce pauvre diacre, c’est d’avoir vu son éloge précédé par celui du Magistrat & du Clergé de Geneve. Mais je ne sais si ces Messieurs en seront fort flattés.

On croiroit d’après la note (page 206.) que le Gouvernement a donné ci-devant gain de cause à la Classe sur les prétentions de la communauté de Boveresse pour les catéchismes; faites-vous montrer les Arrêts du Conseil d’Etat du 28 juin 176é, du 13 juin 1763, & du 10 juin 1765, & vous prendrez une juste idée des assertions de M. le Pasteur de Motiers.

Je ne sais si la Classe lui saura gré de la mettre si souvent en jeu pour étayer sa brochure; il vous oblige à traiter diverses questions qu’il lui eût été plus profitable de laisser dormir. Dans cette même note voudroit-il faire croire que les prébendes sont indifférentes aux Pasteurs de ce pays? Il ne persuadera personne: on sait assez que la privation de ces prébendes est la verge unique & toujours sure dont le Gouvernement se sert pour mettre à la raison les Pasteurs qui s’en écartent. Il y toute apparence qu’il ne tardera pas à être convaincu de l’efficacité du remede pour peu qu’il continue. Les mauvaises denrées dont il se plaint, sont sans doute les émines de moissons de paroissiens étrangers, & dans ce cas l’apostrophe regarde un portion de son cher troupeau; mais dont il exceptera Rousseau, vu le sac de beau froment qu’il en a reçu sans façon; car s’il s’agissoit des grains attachés à sa prébende sur la recette du Val-de-Travers, on auroit de très-bonnes choses à lui dire. [271] On lui rappelleroit l’Arrêt du Conseil d’Etat en date du 23 février 1750, en faveur de M. le Receveur Guyenet, à l’occasion d’une pareille plainte; Arrêt sur lequel M. le Pasteur, qui certainement entend le latin, n’eut pas mal fait de prendre pour lui le sage conseil que vous donnez dans cette langue à la Classe.* [*Page 152.]

M. le Pasteur de Motiers ne doit pas avoir oublié cette affaire, non plus que son plus vieux & plus cher ancien qui lui servit de légat, & qui dans sa mission eut ordre de sa part de menacer des cinq nobles Corps de l’Etat M. le Receveur Guyenet: il ne doit pas avoir oublié, sur-tout, combien Mylord Maréchal fut édifié de tout cela.

Il faut convenir qu’un sermon, de la façon de M. le Pasteur sur la tempérance, même sur celle de la langue, seroit une piece intéressante. Avant de se plaindre que le secret du consistoire fut mal gardé, il devroit se rappeller que plus d’une personne en étoit instruite dans sa propre maison; il ne couche pas en joue, sans doute, M. le Châtelain qui en informa d’abord le Gouvernement auquel il en devoit compte; ni les quatre anciens qui se hâterent de demander une direction au Conseil d’Etat de qui seul ils dévoient la recevoir. Il est tout aussi singulier que M. le Pasteur ne se soit pas apperçu qu’à l’article cinquieme de leur serment, les anciens ne promettent le secret que pour les çhoses qui devront être secretes. Il est clair que la matiere traitée dans ce consistoire auroit dû rester secrete pour l’honneur du Pasteur; mais pour celui de l’Etat & de l’humanité, [272] pour la sureté des citoyens, elle devoit bien vite devenir publique, afin que le Maître y pourvût comme il l’a fait.

Il a tort de se fâcher du propos que vous lui prêtez, dit-il gratuitement à l’égard du présent Regne:* [*Page 212.] prudent & sage comme il l’est incontestablement il devroit un peu plus se défier de sa mémoire: tout ce qu’on peut faire pour lui, c’est de rejetter cet étrange propos sur l’heure & le moment où on prétend qu’il lui échappa, à la fin d’un soupé. En tout cas il ne reculera pas, sans doute, le témoignage d’un de ses confreres, en présence duquel il tint ce propos.

Monsieur le Pasteur auroit mieux fait de laisser à d’autres le juste soin de louer sa famille, ses éloges sont sujets à porter malheur; mais le mérite distingué de la famille de Montmollin est au-dessus de cette fatale influence. Oui sans doute, on se souvient avec plaisir, avec reconnoissance même de plusieurs chanceliers de ce nom, de divers magistrats & d’un grand nombre de conseillers d’Etat qui tous ont bien mérité de la patrie; de plusieurs militaires enfin, qui se sont distingués à la tête de leur régiment, & dont l’un périt glorieusement à la journée d’Hochstet avec la plus grande partie du Corps qu’il commandoit. Oui sans doute, on se souvient avec admiration du chancelier George de Montmollin; on se rappelle avec attendrissement le chancelier Emer de Montmollin pere de M. le Pasteur de Motiers, qui fut l’un des Plénipotentiaires de Prusse à Utrecht, & qui joignit à une ame vertueuse de belles connoissances & de rares talens. Quelqu’un a dit que [273] des aïeux illustres étoient une lumiere qui toujours suspendue sur la tête de leurs descendans, éclairoit leurs vertus ou leurs vices. Je suis surpris que M. le Pasteur de Motiers ne soit pas tenté quelquefois de souffler cette bougie.

Il paroît cependant très-content de sa conscience & je l’en félicite, le grand juge, dit-il,* [*Page 214.] sera intermédiaire un jour entre lui & moi. Entre nous je crois qu’au fond M. le Pasteur craint peu cette confrontation. Selon toute apparence, Rousseau & lui si peu faits pour frayer ensemble dans ce monde, se rencontreront difficilement dans l’autre.

FIN.

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