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SECONDE LETTRE RELATIVE A M. J. J. ROUSSEAU ADRESSÉE A MYLORD COMTE DE WEMYSS

[JEAN JACQUES ROUSSEAU]

SECONDE LETTRE RELATIVE
A M. J. J. ROUSSEAU ADRESSÉE
A MYLORD COMTE DE WEMYSS

Baron d’Elcho, Pair d’Ecosse, &c. &c. &c.

[Du Peyrou/Moultou 1780-1789 quarto édition; t. XIV, pp. 215-241 (1782).]

[215]

SECONDE LETTRE RELATIVE
A M. J.J. ROUSSEAU

ADRESSÉE A MYLORD COMTE DE WEMYSS, Baron d’Elcho, Pair d’Ecosse, &c. &c. &c.

Abîme tout plutôt: c’est l’esprit de l’Eglise.

Lutrin; Chant I. V. 186.

[216]

AU LECTEUR ÉTRANGE

C’est pour vous, Lecteur, que je prends la plume, & non pour mes Compatriotes qui tous connoissent M. le Pasteur de Motiers. Si son Ecrit n’eût point passé les limites de ce pays, je proteste, en homme d’honneur, que je ne me serois pas donné la peine d’y répondre.

[217] LETTRE A MYLORD COMTE DE WEMYSS.

Vous le voulez, Mylord, & l’honneur l’exige; il faut obéir. Il faut malgré moi reprendre la plume & vous achever la relation commencée dans ma lettre du 14 avril. Entraîné par mon attachement pour notre commune Patrie d’adoption, & ne craignant point d’être l’organe de la vérité, j’avois consenti sans peine à la publicité de cette lettre. Persuadé que la constitution de cet Etat si heureuse pour ses habitans, ne sauroit souffrir la moindre altération sans porter coup au bonheur des particuliers, & regardant l’arrêt du Conseil du 2 avril comme un titre important à cette constitution & à tous les sujets de cet Etat, j’ai cru bien mériter de la Patrie, en le rendant public par la voie de l’impression.

A ce motif si fort sur mon coeur, s’en joignoit un autre qui ne l’étoit gueres moins, l’honneur de défendre un ami, un homme de bien,* [*Je ne puis me refuser la satisfaction de vous transcrire ici, partie d’une lettre de M. S. B. Cet artiste citoyen de cet Etat, & distingué par ses talens, ses connoissances & son mérite personnel, s’exprime ainsi: «Je vais souvent, me dit-il, visiter l’ancienne demeure de M. Rousseau, appellée l’Hermitage; c’est à deux pas d’une petite maison de campagne à moi. La mémoire de notre estimable philosophe y est dans la plus grande vénération. Je suis toujours dans l’enchantement lorsque je puis en parler avec les habitans de ce Canton, qui le regardoient comme leur pere, & l’arbitre de leurs différends. C’étoit Rousseau qui aidoit à les soulager, & qui rétablissoit la paix dans les familles. C’est pourtant là l’homme que l’un a persécuté.»] presque devenu la victime de la trame la plus odieuse. Ajoutez, Mylord, que pour remplir ce double [218] but, j’avois obtenu tous les encouragemens imaginables suffrage de personnes en place, & sur-tout la communication des pieces dont j’avois besoin; en particulier, celle des relations que M. Martinet Conseiller d’Etat, & Châtelain du Val-de-Travers avoit adressées au Gouvernement, & d’après quelles sont intervenus les arrêts du 1 & 2 avril.

Je puis dire en quelque façon n’avoir eu que la peine de vous transcrire ces pieces, & ceci répond à la question que vous m’avez faite, comment j’étois parvenu à être si bien informé de tout ce qui s’étoit passé dans les assemblées du consistoire admonitif de Motiers & Boveresse. Voilà, Mylord, les motifs qui m’avoient mis la plume à la main. Je croyois ma tâche remplie, & envisageant la tracasserie suscitée à M. Rousseau comme une méchante affaire qu’il convenoit de laisser s’assoupir, soit esprit de charité, Toit paresse, j’avois résolu de garder le silence sur ses suites depuis le mois d’avril.

Forcé maintenant de reprendre la plume, je suivrai dans cette seconde lettre la même méthode que j’ai suivie dans la premiere celle d’appuyer ma narration par des documens publics, des pieces authentiques, de n’avancer que des faits avérés, & quant à ceux qui ne porteront que sur des bruits publics, j’aurai soin comme dans ma précédente lettre, de ne les citer qu’avec ce correctif: on dit, on assure. Cette observation [219] est de poids, & vous aurez, Mylord, la bonté d’y faire attention.

Je vous invite aussi à recourir aux pieces justificatives que vous trouverez cotées & rassemblées. Leur importance ne m’ayant pas permis de les donner seulement par extrait, cette raison doit vous rendre indulgent sur leur nombre & sur leur étendue.

Pour suivre la liaison des faits, il faut, Mylord, vous rappeller ceux qui donnerent lieu aux deux Arrêts du Conseil d’Etat du 1 & 2 avril, & recourir à ces deux morceaux.* [*Voyez la premiere lettre, p. 150 & 151.] Vous y trouverez clairement énoncé le but de notre Gouvernement, dans le premier, celui de mettre M. Rousseau à l’abri de toutes nouvelles entreprises du consistoire de Motiers, & dans le second, de réprimer les singulieres prétentions du Pasteur de ce lieu. Ceux qui aiment la paix & qui respectent l’autorité souveraine croyoient avec moi voir renaître la tranquillité, puisqu’il ne paroissoit rester à M. de M***. que le parti de l’obéissance & du silence. Mais en jugeant M. le Pasteur de Motiers comme un homme ordinaire, on le jugeoit mal. Il fut faire valoir son ministere, il mit à profit les tans consacrés à la dévotion & à la instruction de sa paroisse; au grand scandale des ames véritablement pieuses, il fit de la chaire de vérité entendre le langage de ses passions, & tonnant contre les sept péchés mortels, il eut soin d’en faire une application d’autant plus odieuse que si l’on pouvoit se méprendre à la chose, on ne pouvoir se méprendre à l’intention. [220] Aussi parvint-il à exciter parmi ses paroissiens une fermentation dont M. Rousseau ressentit plus d’une fois les effets; ainsi que les quatre anciens qui avoient osé recourir au Conseil d’Etat pour obtenir de leur Pasteur qu’il se contînt dans se vraies fonctions.* [*M. le Professeur & Pasteur à Motiers, dans sa réfutation d’un libelle,* [*Pag. 210] nous apprend qu’à cette occasion il prit le parti de présenter une requête au Conseil d’Etat, &c. &c. Mais M. le Professeur qui se pique d’être si vrai, si exact, si modéré, auroit bien dû nous donner aussi une copie da sa requête, piece qu’on trouva si indécente, si scandaleuse que par charité pour lui, M. de Rosiéres, alors Président du Conseil d’Etat, ne voulut pas la présenter, & la remit aux parens de M. le Professeur qui la supprimerent, ce qui engagea celui-ci en faire une autre qu’il nous a produite.]

Les choses furent poussées si loin que le Gouvernement jugea nécessaire de pourvoir à ce désordre en employant des moyens efficaces pour contenir enfin M. le Pasteur de Motiers. Mais des parens respectables étant intervenus en sa faveur, & s’étant chargés de l’admonester, le Conseil d’Etat voulut bien acquiescer aux desirs d’une famille qui dans tous les tans s’est distinguée au service du Souverain & de la Patrie, & dont tous les membres se sont toujours montrés bons sujets, bons magistrats, & bons citoyens. M. de M * * *. fut donc admonesté, & promit, ainsi que Messieurs ses parens en firent rapport au Conseil, qu’il se contiendroit dans la suite, & que ni en public ni en particulier il ne diroit plus rien qui pût animer le peuple.

Cette promesse ne portant que sur l’avenir, & ne remédiant [221] point au désordre actuel, le Gouvernement ordonna à M. le Châtelain du Val-de-Travers de faire connoître au public de la façon la plus solemnelle, les ordres qui lui étoient donnés de rechercher & punir tous ceux de quel état & condition qu’ils pussent être, qui de fait ou de paroles attaqueroient M. Rousseau, auquel le Roi avoit accordé sa protection immédiate.

M. le Châtelain appellé par sa place à siéger aux Etats alors assemblés, jugea le mal assez pressant pour remettre ces mêmes ordres à M. Guyenet son Lieutenant, qui se trouvoit aussi en ville pour affaires. Obligé de tout quitter, M. Guyenet se rendit à Motiers, & l’assemblée de la justice ayant été convoquée en la personne de tous les justiciers, il leur adressa ce discours.

«Messieurs, les divers moyens indécens qui sont mis en usage pour exciter les esprits contre M. Rousseau & lui attirer des désagrémens dans son séjour au Val-de-Travers, ont surpris & irrité le Gouvernement. En conséquence j’ai reçu l’ordre exprès de me transporter incessamment ici pour manifester en l’absence de M. le Châtelain, les intentions de la Seigneurie. Le public apprendra par là qu’un citoyen tel que M. Rousseau qui jouit avec éclat de la protection royale de sa Majesté, de la bienveillance intime de Mylord notre Gouverneur, & qui est protégé particulièrement par le Gouvernement, mérite de justes égards de la part de tous les habitans de ce pays, quels qu’ils soient. Cependant le Conseil d’Etat est informé que de certaines personnes tiennent contre M. Rousseau des discours insultans & séditieux, qui outragent à la fois & le Souverain qui protége, & le citoyen qui est protégé. C’est pour remédier efficacement à un pareil [222] désordre que la Seigneurie juge à propos de donner les ordres qui vont être lus, qui attireront un châtiment grave à quiconque osera y contrevenir.»

«Je viens d’apprendre que M. Rousseau n’est pas le seul ici qu’on attaque, & que Messieurs les anciens Favre, Bezencenet, Barrelet, & Jeanrenaud l’aîné sont exposés à de fréquens mauvais propos, à des menaces même. On ne doit cependant pas ignorer que leur sage conduite leur a mérité l’approbation distinguée du Gouvernement, & les éloges de tous les honnêtes gens.* [*Voyez ce que dit à ce sujet M. le Professeur dans sa réfutation, page 207, où par représailles il accorde aussi son approbation aux deux anciens Jean Henri Clerc, & Daniel François Jeanrenaud, qui à ce prix se passeront sans doute de celle du Gouvernement & de l’estime des honnêtes gens.] On ne fait pas attention sans doute, qu’en blâmant ce qu’ils ont fait, on outrage le Gouvernement dont ils sont approuvés.* [*Voyez l’Arrêt du 2 avril.] Cela m’engage à rendre publique la commission particuliere qui m’a été donnée de leur témoigner de nouveau la satisfaction du Conseil d’Etat, & à déclarer que si au mépris de ce que je viens de dire, on continue à s’oublier à leur égard, il sera pris des mesures qui les mettront à couvert de toute insulte.»

Ensuite après avoir fait lire les ordres du Gouvernement, M. Guyenet ajouta:

«Vous voyez, Messieurs, à quel point la Seigneurie prend intérêt à cette affaire, & je dois ajouter que Sa Majesté par un rescript arrivé derniérement, ordonne au Conseil d’Etat de pourvoir au repos & à la sureté de M. Rousseau. Je m’assure que dans cette Jurisdiction on est trop zélé sujet de notre [223] Auguste Souverain pour rien entreprendre qui puisse lui déplaire, & que chacun se conformera avec empressement aux ordres du Gouvernement, vous enjoignant Messieurs de cette justice, d’y veiller soigneusement.»

Deux heures après les mêmes ordres furent lus dans l’assemblée de la communauté de Motiers, & expédiés aux autres communautés du Val-de-Travers.

Vous avez vu ci-dessus, Mylord, que le Roi avoir accordé sa protection à M. Rousseau. Il étoit en effet arrivé un rescript de la Cour, par lequel approuvant l’attention du Conseil d’Etat à prévenir tout désordre, & toute dissention dans ce pays, au sujet de la réimpression des Lettres écrites de la Montagne, le Roi défend de sévir contre cet ouvrage, & sur-tout d’en inquiéter l’Auteur à ce sujet.

Ce rescript motivé sur les raisons les plus sages fut intimé à la Classe, & en conséquence plusieurs Pasteurs à leur assemblée générale du mois de mai opinerent à laisser tomber l’affaire de M. Rousseau. Celui de Motiers, à ce qu’on assure, conclut bien différemment, sans doute pour faire preuve de sa modération & de sa soumission, ou peut-être aussi dans l’espoir de recueillir le fruit de ses sermons édifians. Mais sans adopter ses conclusions la Classe remit l’affaire à sa prudence, sous la réserve expresse qu’elle ne seroit compromise en rien.

Nous verrons dans un moment, comment il engrena de nouveau l’affaire dans l’assemblée du consistoire de Motiers du 19 mai. Il faut auparavant vous rendre compte d’un Arrêt du Conseil d’État du 15, qui prononçant sur le droit prétendu par le diacre du Val-de-Travers, d’assister en consistoire admonitif, [224] & d’y avoir voix délibérative, ordonne à l’Officier du lieu de s’opposer à cet abus.* [*M. le Professeur prétend* [*Réfutation, pag. 206.] qu’il y a eu de l’humeur contre la personne du Diacre. Il faut donc lui prouver que le Conseil d’Etat a raison d’avoir de l’humeur, ou plutôt que ce qu’il ose qualifier d’humeur est fondé sur de très-bonnes raisons. On les trouvera déduites dans un arrêt du Conseil produit parmi les pieces justificatives, N?. IV. On verra que parmi les abus reprimés par cet arrêt, il est entr’autres défendu au Diacre du Val-de-Travers d’assister en consistoire seigneurial.]

Cet Arrêt suit d’ordre de M. le Châtelain communiqué le 18 à M. le Pasteur & à M. la Diacre, par M. le Gressier du Val-de-Travers, afin, comme il leur dit, qu’ils en fussent rendus sachans, & qu’ils n’en prétendissent cause d’ignorance.

Le lendemain 19 le consistoire de Motiers s’étant assemblé, M. le Pasteur du lieu rendit compte de l’Arrêt du 15, ajoutant que M. le Diacre quoique duement informé par M. le Châtelain, avoit été dans la résolution d’assister à cette assemblée, en attendant que la vénérable Classe eût fait ses remontrances,* [*Cette raison n’est vraiment pas mal trouvée, & offre toutes sortes de facilités pour le dispenser de l’obéissance due aux ordres du Gouvernement.

C’est apparemment sur le même principe que M. le Professeur informé le 5 avril dernier, par M. le Châtelain Val-de Travers des ordres qu’il avoit reçus du Conseil d’Etat relatifs à M. Rousseau, & au consistoire admonitif de Motiers, avoit répondu, que sa réponse seroit briéve, qu’il étoit membre d’un Corps, qu’obligé de lui obéir de même qu’à sa conscience, il feroit toujours ce qui seroit conforme à son devoir. Sans faire beaucoup de commentaires sur cette réponse, il est évident que M. le Professeur ou s’est moqué de nous quand il nous cite* [*Page 211 de sa réfutation] le passage de saint Paul. Que toute personne doit être soumise aux Puissances supérieures, ou bien qu’il ne connaît point de puissance supérieure à celle du Corps dont il est membre. Laissons-le opter entre ces deux partis.] mais qu’il avoit pourtant déféré aux représentations que [225] lui son Pasteur lui avoit faites. Justement blessé d’un pareil discours. M. le Châtelain repartit, que le diacre avoit très-prudemment fait d’obéir aux ordres du Gouvernement, que s’il eut osé se présenter en consistoire, il lui auroit adressé d’abord des conseils, ensuite des exhortations, enfin des ordres de sortir, & trouvé le secret de se faire obéir.

Après cette espece de préambule, M. de M * * *. suivant demanda s’il n’y avoit aucun scandale dans l’Eglise. A demande, l’ancien Clerc* [*Voyez ci-après la note u (pag. 232 «Qui ne riroît....»)] se leva comme un ressort, & au mépris des Arrêts du Conseil d’Etat, & malgré rescripts du Roi, il remit sur le tapis l’affaire de M. Rousseau, le dénonçant au consistoire avec tant de zele qu’il ne fut plus question que d’aller aux voix. Vous jugez bien, Mylord, que parmi six anciens d’Eglise, c’étoit déjà trop qu’un seul eût eu l’audace de contrevenir si formellement aux ordres positifs du Roi & du Gouvernement. Aussi tous les autres rejetterent avec indignation la proposition de sévir contre M. Rousseau.

C’est apparemment à ce mauvais succès que faisoit allusion M. de M * * *. lorsqu’à la générale du mois de juin, rendant compte à la Classe de ce qui s’étoit passé à Motiers, il se lamentoit de trouver toujours en son chemin ce vigilant Châtelain, qui rompant toutes ses mesures, étoit pour lui une écharde pire que celle dont se plaignoit

Saint Paul. A quoi il ajouta qu’il ne falloit plus se flatter de rien obtenir à Motiers contre M. Rousseau, mais que puisque celui-ci avoir [226] dessein de changer d’habitation, & que l’Arrêt du premier avril ne lioit les mains à son égard qu’au seul consistoire de Motiers, on pouvoit prendre à l’avance des mesures pour procéder contre lui, aussi-tôt qu’il seroit dans une autre Paroisse. Cet avis que dictoit sans doute l’esprit de modération de tolérance qui caractérise toute la conduite de ce Pasteur, ne fut cependant pas goûté. Malheureusement pour l’orateur, il existoit un nouveau rescript très-énergique par lequel le Roi témoignoit son mécontentement de la conduite inconsidérée de ces esprits remuans qui, échauffés du zele amer d’une piété intolérante, & non contens des mesures prises pour empêcher la publication des ouvrages qui les scandalisoient, vouloient encore sévir contre leur Auteur, & le menaçoient même des peines ecclésiastiques, Sa Majesté déclarant que sa volonté sérieuse étoit que le Conseil assurât d’une maniere complete & bien décidée, les effets de sa protection Royale accordée à M. Rousseau.

Par égard pour la Classe, le Gouvernement vu la teneur de ce rescript, ne le lui avoit pas intimé, mais on en donne connoissance à un des membres de cette compagnie avec une copie qu’il en demanda, sous la condition de ne communiquer cette piece que dans le seul cas où l’affaire de M. Rousseau seroit encore traitée. Or, on sait que le rescript fut lu en Classe, que M. de M * * *. demanda à en tirer copie, ce qui lui sut refusé, & que la compagnie décida qu’il ne seroit plus question de cette affaire de M. Rousseau.

Le narré que je viens de vous faire, Mylord, je le tiens d’un galant homme qui ne craindra point d’être nommé quand [227] il le faudra, lequel m’étant venu voir dans les premiers jours de juin, & ayant trouvé chez moi quelques amis, nous raconta ce que vous venez de lire, & ce qui m’a depuis lors été confirmé.

Je pourrois terminer ma lettre ici, mais dans ma précédente* [*Pag. 132 & les suivantes] vous ayant rendu compte d’un écrit anonyme adressé à la compagnie des Pasteurs au sujet de M. Rousseau, je dois aussi vous dire que j’ai vu depuis peu plusieurs lettres,* [*Lettres écrites dans le courant de Février, Mars & Avril derniers.] & sur-tout une déclaration de M. E. B. si violemment attaqué dans cet écrit, pieces par lesquelles il est évident que loin d’avoir contribué, comme on l’accuse, aux démarches de notre Clergé dans l’affaire de M. Rousseau, il les a trouvées pleines de contradictions; M. B. désavouant au surplus avec force & d’un ton qui paroît celui de la vérité, toutes les imputations de l’écrit anonyme dont l’Auteur doit bien rougir, si un désaveu si positif ne l’engage pas à se nommer.

Je vous ai parlé encore de l’abandon où depuis plus de dix ans étoit restée la chapelle de Boveresse; il est donc naturel de vous apprendre ce qui s’est depuis lors passé au sujet de cette chapelle.* [*M. le Professeur de Motiers ayant prétendu me redresser dans une note, pag. 206 de sa réfutation, me force, pour ma justification, à reprendre cette matiere & à produire ici des pieces qui décideront le différend entre lui & moi. Je ne serai pourtant pas usage de toutes celles que j’ai en main, malgré l’acharnement dont il me taxe dans la même note. Une requête de la communauté de Boveresse du 28 Juin 1762, & une autre du 28 Juin dernier avec les arrêts du Conseil d’Etat me suffiront ici. On les trouvera donc parmi les pieces justificatives. Quant à la fin de cette note, j’avoue que j’en suis stupéfait; & pour toute réponse, je veux bien me borne; à renvoyer l’Auteur à un arrêt du Conseil du 23 Février 1750, signé de Natalis, piece intéressante, à l’honneur & à la tranquillité de M. le Receveur Guyenet,]

La communauté de Boveresse sans se rebuter de l’inutilité des démarches qu’elle avoir faites auprès de la compagnie des [228] Pasteurs, ou de l’inexécution des Arrêts qu’elle avoir obtenus en Conseil d’Etat, avoit souvent répété ces mêmes démarches, & entr’autres présenté, le 28 juin 1762, une requête très-expressive, sur laquelle elle avoit obtenu un Arrêt favorable. Elle en avoit encore obtenu un autre à la date 13 juin 1765, mais toujours infructueusement pour le service de sa chapelle. Enfin le 18 juin dernier elle réitera sa plainte dans une requête au Conseil d’Etat, par laquelle elle supplie le Gouvernement de la maintenir dans ses droits, & d’ordonner la restitution de quelques-uns des titres qu’elle avoit produits en Chancellerie, d’où ils avoient été retirés Messieurs les Pasteurs avec les leurs propres. Sur ces de chefs le Conseil d’Etat par un Arrêt du même jour, prononça qu’à l’avenir le diacre du Val-de-Travers eût à faire de quinzaine en quinzaine les catéchismes dûs à la chapelle de Boveresse,* [*Savez vous la réponse du diacre, lorsque, cet arrêt en original lui fut signifié par la communauté de Boveresse? Elle vaut la peine d’être transcrite. Je respecte infiniment les ordres du Conseil d’Etat, mais je dois obéir à la Classe. Je me tais. Ce n’est à un particulier à relever une pareille réponse.] & que les papiers de cette communauté lui fussent rendus. Après une pareille décision, on devroit espérer que c’est aujourd’hui une affaire finie.* [*A en croire pourtant M. le Professeur dans sa note, pag. 207, c’étoit déjà une affaire terminée & bouclée. Il fait même entendre que la prétention de ceux de Boveresse n’étoit fondée, puisque la chose, dit-il, avoit été décidée par lé Conseil d’Etat, il’n’y avoit pas long-tans, à la satisfaction de la vénérable Classe. Lorsque M. le Professeur écrivoit cela le 29 Juin 1765, ignoroit-il l’arrêt du Conseil du 18 du même mois, ou bien avoit-il si-tôt oublié la simplicité la candeur qu’il avoit promises dans son début page 158, ou bien enfin, sa véracité, sa simplicité, sa candeur s’accommodent elles de pareils traits & si souvent répétés dans sa réfutation?] Mais comme [229] par la teneur même de cet Arrêt, on voit qu’il n’est pas le premier qui ait été rendu sur cette singuliere contestation on peut sans témérité prévoir qu’ill ne sera pas le dernier, à moins que la communauté de Boveresse en perdant tout-à-fait courage dans la poursuite de ses droits, ne perde aussi tout goût pour les catéchismes.

A bon compte, cet Arrêt qui donnoit gain de causé à cette communauté, devint un des griefs sur lesquels dans les premiers jours du mois de juillet, la Classe jugea à propos, d’adresser au Conseil d’Etat des remontrances qui rouloient sur les trois chefs suivans.

1. Sur l’exclusion du consistoire seigneurial prononcée contre le diacre du Val-de-Travers, il y a bien des années, savoir par l’Arrêt du 18 Nov. 1758.

2. Sur l’exclusion du consistoire admonitif de Motiers & Boveresse prononcée contre le même par l’Arrêt. du. 15 mai passé.

Et 3. Sur le contenu de l’Arrêt du 18 juin précédent.

Sans m’arrêter sur ces remontrances, il me suffira de vous dire qu’elles furent mal reçues, & unanimement rejettées.

Mais il est nécessaire de vous apprendre que dans la générale, où ces remontrances avoient été arrêtées par la compagnie des Pasteurs un des membres de cette assemblée y [230] avoit fait lecture d’une réponse à ma précédente lettre tournée en façon de réfutation.

La vénérable Classe ne voulut avouer ni l’ouvrage ni l’auteur, le laissant d’ailleurs le maître comme simple particulier, de plaider sa propre cause. Il ne fut point découragé, & sollicita auprès de notre Magistrat la permission de le faire imprime ici. Elle ne lui fut point accordée. Après ces deux rebuts, on crut que cet

Auteur ne s’exposeroit pas à un troisieme & qu’il se rendroit aux bons avis de quelques-uns de ses parens ou collégues, qui n’approuvoient du tout point cette production. On m’apprit pourtant dans le courant du mois d juillet que cet ouvrage deux fois rejetté, s’imprimoit dans une ville voisine aux frais des Editeurs du Journal Helvétique. Je compris dès-lors ce qu’il en falloit penser. Ensuite dans la gazette de Berne du 31 juillet parut cet avis.

«Il vient de paroître une réfutation très-solide & des plus curieuses, de la lettre de M***. relative à M. Rousseau, datée de Goa* [*Non, elle est datée de Neufchâtel, & imprimée sous le titre de Goa; au lieu que suivant M. le Professeur qui sans doute a ses raisons pour cela, cette lettre se trouve datée de Goa, & imprimée à Neufchâtel.] & conçue dans des termes d’indisconvenance tout-à-fait déplacés à l’égard de la vénérable Classe de Neufchâtel, ainsi que par rapport à M. de Montmollin Pasteur à Motiers. Dans cette réfutation dont on est redevable à la plume de ce Pasteur, se manifeste par des faits détaillés tout ce que la lettre contient de peu véridique. Tant la réfutation que la lettre qui en est l’objet, se trouveront [231] sur la fin de cette semaine, chez les principaux Libraires des villes de la Suisse.»

Cette modeste & sage annonce, acheva de décider mon jugement, & je compris que la grande ressource de l’auteur étoit de prévenir le public en saveur de son ouvrage. Il a paru enfin cet ouvrage très-solide; & j’ai vu que j’en avois bien jugé.

Ayez la bonté, Mylord, de voir par vous-même cette réfutation trop longue pour vous la transcrire ici, & trop curieuse pour en rien retrancher. Vous trouverez ci-après* [*Par ménagement pour l’Auteur, je n’en produirai pas d’autres quant à présent.] quelques-unes des remarques qui m’ont été fournies, & par lesquelles vous pourrez juger du caractere de l’ouvrage, de ce que l’on pense ici sur celui de l’auteur.

Pour moi j’avois d’abord peine à me persuader que cet auteur fût en effet M. le Professeur de Motiers, mais on me fit observer:

1. Que malgré sa modération, & la modestie de son caractere, & tout en se prodiguant les louanges les plus douces, cet auteur m’accable d’injures, me taxe d’ignorance, d’infidélité, de mauvaise soi, de calomnies, &c. &c..* [*Par exemple.... Mais plutôt voyez la réfutation d’un bout à l’autre.]

2. Qu’il a grand soin d’ometre dans ses récits des circonstances essentielles.* [*Par exemple dans la relation qu’il nous donne pag. 190 à 191, l’Auteur a oublié une circonstance de poids, c’est que cette assemblée si grave par son objet, l’endoctrinement des anciens, se tenoit autour d’une table & d’un buffet abondamment garnis, & cette circonstance jette un grand jour sur la nature du compliment fait pas les anciens, qu’ils se félicitoient d’avoir un Pasteur qui en usât si bien avec eux.]

[232] 3. Qu’il nie les faits les mieux constatés, & veut modestement que l’on en croye son seul témoignage dans sa propre cause, quoique ce témoignage soit en opposition avec une requête signée par quatre anciens de son Eglise,* [*Voyez entr’autres les pag. 205 & 206 de la réfutation, & remarquez qu’en accusant les anciens d’infidélités dans l’exposition des faits, l’auteur ne spécifie aucune de ces infidélités. Pour moi je n’en suis pas surpris, ici comme en plusieurs autres endroits j’admire sa prudence, ou plutôt son adresse.] avec les relations que Monsieur Martinet premier officier du lieu avoit d’office adressées au Gouvernement.* [*En voici la preuve. Lisez les pages 196 à 197 dans lesquelles l’Auteur assure que je suis un ignorant, & que je déguise les faits. Je lui répété donc que ma relation de tout ce qui s’est passé en Consistoire à Motiers jusques à ses mouvemens, gestes & propos, est tirée exactement des relations données au Gouvernement par M. le Châtelain du Val-de-Travers; que c’est d’après ces mêmes relations que j’ai dit tout ce que M. le Professeur nie avec une hardiesse qui étonne ceux même qui le connoissent le mieux. Que l’on juge de la valeur de ses négations par ce seul trait. Il nie* [*Page 197 de la réfutation.] la réponse des anciens aux reproches qu’il leur adressoit à l’issue de l’assemblée du Consistoire du 29 Mars, & cette même réponse se trouve dans là relation faite le lendemain par M. le Châtelain. Je dis plus, j’affirme à M. le Professeur que cette réponse lui fut faite par M. l’ancien Bezencenet, & entendue par les assistans.

La même relation porte encore expressément que M. le Professeur demandoit que dans la délibération l’on se conformât à la direction de la Classe qu’il avoit exhibée. C’est lui faire tort sans doute, car il affirme le contraire dans sa note, pag. 206.] Et enfin avec les Arrêts de ce même Gouvernement.* [*Qui ne riroît, par exemple, de voir l’Auteur* [*Pag. 196 à 197.] à la torture pour distinguer entre voix prépondérante & double voix, & vouloir donner le change au public en assurant que c’est moi qui prétends malicieusement que voix prépondérante signifie double voix? Eh! Faut-il donc toujours citer mon garant, cet arrêt accablant du 2 Avril.

Ce même arrêt répond amplement à la note page 197. Je ne connois ni la logique, ni nos constitutions, je ne sais faire que des libelles. Cela est bientôt prononcé, & digne sur-tout de la modération de M. le Professeur & de la modestie de son caractere. Mais à cela voici ma réponse. Je n’ai parlé que d’après les relations envoyées au Gouvernement par l’officier du Prince. Il est heureux pour moi d’avoir un pareil guide, & j’abandonne sans regret à M. le Professeur, le plus vieux de ses Anciens, qui paroît lui servir de garant & de témoin dans les occasions délicates, comme il nous le fait entendre lui-même.* [*Réfutation, pag. 197 à la note.] C’est encore sur le témoignage d’un pareil garant que M. le Professeur ne rougit point de donner un démenti à l’Arrêt du 2 avril qui dit expressément, qu’il n’a jamais été d’usage que le Pasteur président au Consistoire admonitif ait plus d’une simple voix, &c. Et M. le Professeur* [*Ibidem.] dit en autant de mots, que ce sont les usages des Consistoires de ce pays. Après cela je dois me trouver très honoré d’être traité comme le Conseil d’Etat. Mais quand l’Auteur ajoute immédiatement après, & nous sommes dans un pays d’usages, est-ce pour mieux nous faire sentir le danger de tolérer le moindre abus, & l’obligation que ce danger impose à tout citoyen d’élever sa voix contre toute prétention nouvelle? En ce cas remercions-le de nous donner ainsi la clef de la conduite irréguliere tenue dans l’affaire de M. Rousseau, le tout sans doute pour établir par l’usage, cette inspection sur la foi que réprouvent nos constitutions, mais que M. le Professeur voudroit pourtant s’arroger à lui & à sa Compagnie.]

[233] 4. Qu’il affecte de jetter des doutes sur les pieces que j’ai produites,* [*Pourquoi cette affectation de dire & de répéter,* [*Réfutation, pag. 202.] que c’est de ma lettre qu’il extrait la requête des quatre anciens de son Eglise, ainsi que l’arrêt du Conseil du 2 avril? Voudroit-il aussi jetter des doutes sur l’authenticité, ou la fidélité de ces deux pièces? Pour moi, je l’avoue, je suis étonné qu’il ne se soit point inscrit en faux contr’elles. C’étoit le seul moyen de donner à sa réfutation un air de vraisemblance, du moins dans l’étranger.] & sur-tout qu’il a grand soin d’attribuer toujours à moi seul des choses que je n’avance pourtant que d’après ces mêmes pieces.* [*N’en déplaise, dit-il, par exemple,* [*Réfutation, pag. 177.] n’en déplaise à l’Auteur, le Clergé selon les Constitutions ecclésiastiques de ce pays, a inspection sur la foi comme sur les moeurs, &c.

Pourquoi ne pas dire tout uniment, n’en déplaise au Conseil d’Etat. C’est lui qui a prononcé sur cette inspection par son arrêt du 2 avril, & n’en déplaise à M. le Professeur, une pareille autorité vaut mieux que la sienne, exceptons pourtant, lorsqu’il’définit l’inquisition. Page 178.

Mais les constitutions ecclésiastiques! L’Auteur devoit bien nous indiquer celles qui attribuent au Clergé le droit d’inspection sur la foi des fideles. Nous ne les connoissons point. Il est vrai que nous nous bornons à connoître & respecter celles qui émanent du Gouvernement, lequel seul a le droit de les établir, augmenter, diminuer suivant le besoin, ainsi que s’exprime l’arrêt du 25 juillet 1553. Et ce droit est si réel qu’actuellement il existe une commission chargée de travailler à la réforme de ces constitutions ecclésiastiques. Notez que cette commission n’est composée que de trois Conseillers d’Etat.]

[234] 5. Que lorsqu’il cite quelques morceaux de l’ouvrage qu’il refute, il a grand soin de supprimer, ou d’ajouter quelques expressions, ou même de me prêter tout-à-fait les siennes quoique pour mieux en imposer aux lecteurs, les citations soient en lettres italiques.* [*Confrontez les citations, pages 189, 190, 191 & 192, & vous verrez que l’Auteur a fort adroitement supprimé à la pag. 191 cette phrase, on dit. Que plus adroitement encore il a ajouté celle-ci, en Consistoire, pag. 192 & 193. Et enfin qu’à la citation de pag. 189, excepté le mot completté, il n’y en a pas une qui m’appartienne.

Encore un exemple de sa bonne foi. Qui a dit à l’homme du siecle que si la déclaration de l’Auteur d’Emile en 1762 me parut suffisante pour l’admettre à la communion, je devois, quoique fît M. Rousseau; quoi qu’il écrivît, continuer à l’admettre &c.?* [*Réfutation, pag. 195.] Et qui a à M. le Professeur que l’homme du siecle eût dit une pareille absurdité? Qu’il me lise, ou ne me lise pas, cela doit être fort égal, mais ce qui ne l’est pas, c’est qu’il me fasse parler d’après lui]

6. Qu’au moyen de ce petit manége si nécessaire quand on défend une mauvaise cause, il se fait des monstres pour les combattre & en triompher,* [*Voyez, par exemple, pag. 184 où après avoir dit: Je ne sais où l’Auteur a puisé ce qu’il ose avancer, que la vénérable Classe fulmina contre M. Rousseau, en dépit des constitutions de ce pays, une sentence d’excommunication; avec quelle adresse quelle rapidité il passe à un autre sujet, savoir le droit qu’a la Classe de donner directions à ses membres, droit que personne ne lui a contesté, mais bien celui d’étendre cette direction jusques aux laïques. C’est dans ces sortes d’occasions que l’Auteur triomphe.

Quant au fait de l’excommunication, qu’importe où j’ai puisé ce fait? Est-il vrai, ou non? Voilà la question. Mais pour la singularité, je voudrois que M. le Professeur l’eût nié. Car remarquez qu’il paroît seulement le nier. Et en vérité l’occasion étoit heureuse pour faire valoir sa négation.] ou ce qui est bien pis, il [235] me donne une façon de penser qui doit sans doute lui être plus naturelle qu’à moi.* [*Entr’autres, lorsqu’il prétend* [*Réfutation, page 178.] si charitablement que la méprise d’un crieur public devient un ridicule pour le Magistrat qui l’emploie. C’est comme s’il jettoit celui du mot indisconvenance employé dans la gazette, sur le compte du Magistrat qui en est le censeur.]

L’on crut voir à ces traits que l’ouvrage ne pouvoit être en effet que de M. le Professeur de Motiers.

Faisons-lui donc, Mylord, comme auteur d’une production si sublime, l’honneur de nous en occuper encore quelques instans.

J’observe d’abord que l’auteur me fait un crime de ne m’être pas nommé. Mais n’est-il pas plaisant qu’en reprochant l’anonyme à un homme qui ne dit que des choses avérées ou publiques, il le garde sur l’étrange correspondant qu’il se donne, & qui plein de lumieres & de piété, s’affectionne pourtant si fort à M. de M * * *. & à sa conduite?* [*Jusques-là que ce digne correspondant estime* [*Réfutation, pag. 157.] que l’honneur de la religion est intéressé dans la cause de M. le Professeur. La religion n’est-elle donc faite que pour servir de sauve-garde aux écarts des gens d’Eglise? Une preuve, au contraire, qu’elle est très-solidement fondée, est de voir que leur conduite ne peut l’ébranler. On peut rappeller ici le conte d’un Auteur célebre & qui les connoissoit bien. Il dit qu’un Juif très-honnête homme fit un voyage à Rome, & se convertit a seul aspect des débordemens du sacré College, jugeant qu’il falloit bien que le Christianisme fût une religion divine pour se maintenir sur la terre malgré les vices de ceux qui la prêchoient.] Un pareil homme de lumieres valoit assurément la peine d’être connu. Après tout, mon nom ne faisoit rien à la vérité des faits. En ne [236] me nommant pas, je n’ai dit que des choses notoires au public ou appuyées de documens incontestables, au lieu que M. le Professeur en se nommant, avance beaucoup de choses qui ne sont connues que de lui tout-au-plus.

Il a pourtant une fois raison. C’est à la page 183, quand il dit que la vénérable Classe fit en 1762 des remontrances au sujet d’Emile.

Il y en eut en effet, mais avec si peu d’appareil, que le public tout occupé de l’admission de l’auteur à la communion, en fut à peine informé. Quoi qu’il en soit, j’étois mal instruit. Cet aveu de mon erreur me coûte si peu que pour l’amour de M. le Professeur, je voudrois en avoir beaucoup de pareils à lui faire. Me voici donc mieux instruit, graces à l’avis qu’il me donne de recourir aux régistres du Conseil d’Etat. Il est vrai, que cet avis m’a valu bien des lumieres que je n’avois pas. Je n’en ferai pourtant point usage ici, je dois me flatter que M. le Professeur, vu la cause qu’il de défend, sentira le prix de mon silence.

Pour vous, M. vous êtes vrai, vous aimez aussi la vérité. Je vous la rapporterai dans toute son exactitude. Croyez-moi véritablement pour la vie, &c. C’est toujours au correspondant [237] anonyme que cela s’adresse, à la fin de la troisieme lettre page 176. Convenez que voilà un amateur de la vérité bien servi suivant son goût! Daignez revoir là-dessus les précédentes notes, & lire les remarques ci-après.

Voulez-vous un exemple d’un raisonnement profond? C’est à la fin de la page 187. Je quittai Neufchâtel le 14 pour revenir chez moi, où je m’occupai de mes affaires. Comment donc le téméraire Auteur du libelle ose-t-il avancer qu’il y a eu des menées employées dans l’église de Motiers?

Remarquez seulement que lorsque M. le Professeur est à Motiers, il est chez lui, & que quand il travaille à l’excommunication de Rousseau, il s’occupe de ses affaires.

Qu’il apprenne à être vrai, ajoute-t-il immédiatement après.

Le précepte est bon, d’où qu’il vienne, même de le Professeur de Motiers.

Voulez-vous à présent un trait de prudence? Voyez sa note page 206, où il nous apprend que c’est par prudence qu’il se tait sur les menées de Motiers & Boveresse. Pour cette fois nous l’en croirons sur sa parole.

Toutes ces expressions de bêtises du libelle, tous ces propos extravagans que l’anonyme met dans ma bouche sont trop méprisables pour que je prenne la peine de les réfuter.* [*Réfutation, pag. 191.]

Je conviens avec M. le Professeur, que ces propos sont extravagans & méprisables, & c’est précisément pour cela que je les ai cités. C’étoit pourtant par de pareils motifs que la conscience des anciens avoit été ébranlée comme eux-mêmes [238] l’ont avoué. Que M. le Professeur, assure aujourd’hui n’avoir jamais ni pensé, ni dit de pareilles absurdités, cela n’est pas étonnant, & dès qu’il les nie, nous devons l’en croire comme sur tout le reste. Oseroit-il en imposer à son correspondant anonyme, si grand ami de la vérité?

Encore un mot & j’ai fini. Au ton décisif que prend M. le Professeur dans sa note page 181, ne seriez-vous pas tenté de croire que la déclaration de M. Rousseau du 10 mars fut publique aussi-tôt qu’à lui présentée? Mais accordez cette assertion avec l’effet que produisit la lecture de cette même déclaration faite le 30 mars par M. le Chambrier officier aux gardes, en présence de plusieurs membres d’une société très-nombreuse & très-répandue, qui tous témoignerent par leur empressement à l’entendre, & leur surprise après l’avoir entendue, combien cette déclaration étoit nouvelle pour eux. Je ne vois qu’un moyen, de nous accorder M. le Professeur & moi, c’est de supposer que nous ne connoissons pas le même public.

Enfin l’auteur en appelle au témoignage de M. Rousseau sur la vérité des faits qu’il avance.* [*Réfutation, pag. 179 à la note.] Il faut donc laisser parler M. Rousseau lui-même; vous trouverez son témoignage dans une lettre qu’il m’a écrite en réponse aux questions que je lui avois faites en lui envoyant l’ouvrage de M. le Professeur. Si ce témoignage contredit celui qui le reclame, un des deux nous en impose; ce n’est point à moi, Mylord, de vous proscrire auquel vous devez ajouter foi; mais je dois [239] vous avertir que la conversation de M. le Professeur avec M. le Lieutenant Guyenet, rapportée par ce premier,* [*Réfutation, pag. 179 à 182.] n’est pas, tant s’en faut dans l’exacte vérité, s’il nous en faut croire ce dernier.* [*M. Guyenet le dit à qui veut l’entendre; il me l’a dit à moi, & M. Le Professeur voudra bien se souvenir que je me signe.]

Pardon, Mylord, de vous avoir si long-tans arrêté sur cette Réfutation de mon libelle. Je suis fâché pour M. le Professeur que la narration publique de ses faits publics soit un libelle. C’est sa faute, & non pas la mienne. Le titre de calomniateur est dur à digérer pour un anonyme aussi peu anonyme que je l’étois. Sans cette qualification, je gardois le silence, ou tout au plus, pour vous donner une légere idée de la conduite modérée & tolérante de M. le Professeur de Motiers, je me serois borné à vous rappeller celle d’un Quacre de votre pays. Son cheval marcha sur un chien qui lui mordit la jambe & faillit à démonter le Quacre. Celui-ci lui dit froidement: Je ne porte point d’armes, je ne tue pas, mais je te donnerai mauvaise renommée. Là-dessus ayant apperçu des gens qui travailloient près de-la dans les champs, il se mit à crier: Au chien enragé! Au chien enragé! Dans l’instant le chien fut assommé.

Voilà, Mylord à quoi cette affaire en est restée; il est difficile de prévoir comment elle finira. Il ne s’agit plus de classe, de consistoire ni dé voie légitime. Barré de toutes parts en s’est entiérement tourné du côté du peuple, & c’est par lui seul qu’on veut maintenant forcer M. Rousseau d’abandonner [240] la partie. Aux fureurs du fanatisme se joignent les plus stupides extravagances. Déjà l’on voit des gens à qui Dieu parle, & qui ont eu des visions. Qui croiroit que dans un siecle aussi plein de lumieres & d’humanité, l’on trouvât core un peuple assez imbécille pour se laisser mener par de pareils foux, & assez brutal pour outrager un homme doux & paisible, uniquement pour complaire à un prêtre furie? Quel spectacle de voir le plus ardent défenseur du peuple, insulté par le peuple; l’apologiste des protestans, persécuté chez les protestans; l’ami de la tolérance, n’en trouver aucune, & le censeur des grands de la terre, protégé par eux! La vie de cet homme infortuné sera monument dans l’histoire philosophique de ce siecle, & si les relations que j’ai l’honneur de vous adresser, n’en sont pas les plus curieux mémoire elles en feront du moins les plus surs.

Recevez, Mylord, les assurances du tendre & sincere attachement avec lequel je serai toute ma vie.

Votre très-humble & très obéissant serviteur,

DU PEYROU.

Neufchâtel ce 31 août 1765.

FIN.

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